Le plan d’action e-Santé 2013-2018 soutient l’usage des TIC par les professionnels de santé et en particulier par les médecins généralistes (MG). Une chercheuse de l’Université de Liège, Cynthia Slomian, a analysé l’impact de ce plan sur leur pratique quotidienne.

Le plan d’action e-Santé 2013-2018 voulu par l’Etat belge a comme triple objectif de :

  • Développer et stimuler l’échange des données informatisées entre les prestataires de soins ainsi qu’avec l’administration ;
  • Revaloriser les soins primaires en conférant au MG un rôle de coordinateur des soins ;
  • Rendre le système de soins plus efficient.

Ce programme d’action publique s’est construit de manière techno-centrique, selon une approche top-down, à la suite de l’échec d’une démarche bottom up adoptée dans les années 2000 pour moderniser le système à partir d’initiatives locales, régionales. In fine, cette démarche n’avait pas permis de dégager un plan rencontrant les attentes d’intégration et de standardisation.

L’approche technocratique et top down est-elle susceptible d’atteindre les objectifs du plan ?

Telle est la question au cœur de la recherche menée par Cynthia Slomian, chercheuse doctorante au Centre de Recherches et d’Intervention Sociologiques (CRIS) de l’Université de Liège.

Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été menés avec différentes parties prenantes – médecins généralistes, qu’ils pratiquent seuls, en association ou en maison médicale, administrations, etc. – ainsi qu’une observation des réunions de renégociations du plan. Les données recueillies par la chercheuse ont permis une analyse riche d’enseignements et de pistes à explorer par le politique pour en améliorer la faisabilité et de l’acceptabilité du plan par les différentes catégories de parties prenantes.

Tous les MG sont-ils logés à la même enseigne ?

Le plan d’action des autorités repose sur l’hypothèse d’intervention suivante : il suffit de mettre les outils technologiques performants à la disposition des médecins généralistes pour que les changements de pratiques s’opèrent « naturellement » au bénéfice d’un Etat contrôleur et rationalisateur. Or, le bien-fondé de cette hypothèse d’intervention est contredit dans les faits, comme le montre l’auteur par son analyse des pratiques numériques des médecins généralistes dans des contextes organisationnels différents.

En termes de faisabilité technique – utilisation de logiciels à différentes finalités – l’auteur constate qu’une forte majorité de médecins généralistes dispose d’une connexion Internet. La faisabilité organisationnelle est, par contre, un frein voire même une barrière pour nombre de médecins généralistes pratiquant en solo. Le médecin en association peut, par contre, échapper à ce qui est vécu comme une surcharge de travail plus ou moins insupportable en déléguant, par exemple, la partie numérique de son travail à un collègue technologiquement plus alphabétisé. Enfin, les médecins intégrés dans une maison médicale travaillent actuellement avec les logiciels de gestion de données multidisciplinaires, et le travail de ces professionnels correspond déjà en partie à ce qui est attendu par l’Etat.

Et si on passait de la pratique à la théorie ?

Dans le modèle « classique » de diffusion d’une innovation, le sort d’une innovation relève des caractéristiques propres du projet – une “idée géniale”–, des ressources en termes de pouvoir de son auteur/porteur par rapport aux acteurs auxquels il le destine ainsi que des ressources dont ceux-ci disposent pour faire obstacle, pour créer des résistances.

Un modèle alternatif proposé par la sociologie de la traduction (Callon M. 1986) montre que ce ne sont pas les qualités intrinsèques de l’innovation technologique mais la dynamique sociale qu’elle met en œuvre qui assure sa stabilisation et sa diffusion dans un réseau socio-technique. Ce modèle permet de mieux comprendre les limites d’une action volontariste. Dresser un catalogue descriptif d’innovations “dignes d’intérêt” et l’offrir aux « candidats » à l’innovation – se solde en effet souvent par un échec. Le modèle privilégiant le lien entre l’adoption d’une pratique innovante et l’appartenance à un réseau incluant un maximum de parties prenantes en interaction permet, par contre, de comprendre pourquoi le médecin en association, et plus encore, celui faisant partie d’une maison médicale, ont plus de chances de s’approprier le plan d’action e-Santé.

 

Pour avoir les détails de l’étude :

Slomian Cynthia, 2017, « Le numérique au coeur des soins de santé : des médecins généralistes 2.0 ? », Sociologies pratiques,34, 73-82. Vous pouvez aussi contacter directement Cynthia Slomian.

Pour aller plus loin dans la diffusion de l’innovation par Callon :

Callon M., 1986  « Some elements of a sociology of translation », Law J. (ed.), Power, Action and Belief, A New Sociology of Knowledge, Routlege and Paul Kegan, London,196-233.

 

Cynthia Slomian est titulaire d’un Master en Gestion des Ressources Humaines de l’Université de Liège (2013). Elle est actuellement employée en tant qu’assistante au sein de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université de Liège et réalise parallèlement une thèse de doctorat.

Ses domaines de recherche de prédilection concernent les nouvelles technologies dans le monde de la santé. Plus particulièrement, elle s’est d’abord intéressée à l’introduction du dossier infirmier informatisé à l’hôpital. Sa recherche actuelle concerne l’utilisation des services e-santé par les médecins généralistes. Il s’agit de comprendre de quelle manière les mesures prises dans le cadre du Plan d’Action e-Santé 2013-2018 de la Ministre De Block impactent le travail des médecins généralistes au quotidien. L’un des aspects étudiés concerne le point d’action « mobile health ».