Damien Bihr est un designer belge spécialisé dans le design industriel. Il a lancé, il y a plus de 30 ans déjà, son agence Naos Design. Impliqué dans plusieurs projets santé, il nous parle de sa vision du métier et des challenges qu’il y rencontre.

Le design, tout un concept !

 À la question de la définition du mot design, Damien Bihr, fondateur de de NAOS .iD+, répondra « le design est par là et au-delà ». Derrière cette réflexion sibylline, une vision du design en tant que processus. Un processus par lequel on parvient au résultat.

« Chaque élément d’un produit en contact avec son usager doit inciter à augmenter la capacité à l’utiliser intuitivement. Chaque élément interne au produit, chaque composant, et la façon dont ils sont connectés les uns aux autres doit contribuer par sa relation à son collaborateur (un autre composant) à rendre le produit plus intelligent. »

 

 

Et quand Damien parle de son métier de designer, il se décrit comme un facilitateur car son travail consiste très souvent à mettre tout le monde d’accord sur la finalité du processus. Quand il commence des réunions de travail avec des personnes provenant de différentes équipes, il observe généralement que tout le monde a pensé à une contribution (tout en restant dans son domaine d’expertise),  mais personne ne s’est intéressé à la finalité. Son rôle est de leur faire partager une vision commune. Les intervenants deviennent alors encore plus performants.

« Mon but c’est de leur apporter cet éclairage parfois nouveau et d’observer cette forme d’illumination dans leur regard. Je leur explique que l’essentiel n’est pas l’écran, mais le doigt de la personne qui va toucher cet écran. Quand ils comprennent, ils sont heureux de faire partie d’un tout, partie de la réussite de ce qui va se produire quand la personne va mettre son doigt sur l’écran ».

Le design, un enjeu important du secteur de la santé ?

« Je pense que le design est nécessaire dans toute l’industrie, dans tous les secteurs. Celui des soins de santé n’y échappe pas. Moins encore que les autres, je dirais ! »

Un élément essentiel dans de processus de design est de tenir compte du bénéficiaire, de l’individu au bout de la chaîne et concerné par l’usage. Dans le domaine de la santé, comme ailleurs, il y a toujours quelqu’un au bout de la chaîne. Le domaine des soins de la personne doit donc être très attentif à la bonne utilisation des dispositifs médicaux ou des médicaments. Si les concepteurs ne s’attardent pas sur le contexte d’utilisation, ils diminuent leur chance d’atteindre une réelle performance : celle de l’usage correct et intuitif par le patient.

« Beaucoup de professionnels de la santé pensent comme des ingénieurs. Ils sont orientés solutions, mais s’occupent trop peu souvent de l’usage. Au moment de réaliser le médicament, les concepteurs font l’hypothèse que la cible parviendra sans doute à le casser en deux. Mais ils ne le vérifient que trop rarement ».

Par ailleurs, les « utilisateurs-patients » peuvent être souffrants, médicalisés, affaiblis.  Le design peut également en tenir compte, en aboutissant à des produits « rassurants ».

« Dans un aéroport, il y a des indications, de la signalisation, une gestion particulière de l’espace et des déplacements qui rassurent les passagers sur le fait qu’ils ne vont pas manquer leur avion. C’est intuitif. Pour un patient, c’est pareil. L’intuitivité rassure sur le chemin de la guérison ».

L’inclusion des utilisateurs finaux: un peu, beaucoup, passionnément ?

Pour Damien, la manière dont il envisage l’inclusion des utilisateurs finaux dans le processus de design a évolué avec le temps.

« J’ai longtemps pensé qu’il ne fallait pas demander l’avis à ceux qui vont utiliser ce que je crée, leur esprit étant déformé par l’utilisation d’un produit qu’ils n’ont pas encore. C’était complètement idiot. On récupère une tonne d’informations importantes en faisant de l’exploration, de l’observation, des tests d’usages. Par exemple, dans le projet Easy-P, c’est grâce aux ateliers de co-création avec des utilisateurs finaux que l’on s’est rendu compte que le dispositif devait être encore plus petit et pliable. La portabilité était beaucoup plus importante que ce que l’on pouvait croire au départ. »

 

 

S’intéresser à l’usage, c’est entrer dans la culture des individus. C’est comprendre profondément comment ils vivent et ressentent les choses. Pour Damien, il est erroné de penser qu’en tant que designer, on est seul et unique juge de la manière dont les personnes devraient agir, penser ou ressentir. Même en tant qu’expert, toute l’expérience acquise ne remplacera jamais le lien privilégié qui s’établit lorsque l’on essaye réellement de se mettre au diapason avec l’autre, au-delà de nos préjugés et de nos préconceptions.

« J’avais tendance à penser que mon innocence pouvait remplacer l’utilisateur, mais ce n’est pas suffisant. En écartant l’usager, sans même s’en rendre compte, on écarte ce qui nous ennuie alors que c’est peut-être précisément cela que l’on doit faire le mieux. »

L’appréhension de l’utilisateur est très courante pour les porteurs de projet ou les designers. La crainte de voir son projet remis en question, son processus chamboulé, ses idées écrasées. On n’ose que trop peu se confronter à ceux pour qui l’on crée. Situation paradoxale et pourtant très courante. Pourtant, l’échange avec les utilisateurs finaux peut se faire avec discernement et bienveillance. Si les tests sont réalisés avec professionnalisme, sur base de protocoles adaptés, et sont suivis d’une analyse fine et pertinente, il n’y a aucune raison d’appréhender la rencontre avec l’utilisateur, bien au contraire !