L’innovation est souvent associée au milieu académique et aux entreprises. Pourtant, le secteur des soins de santé, et particulièrement les hôpitaux, représente un important potentiel d’innovation.

Le contexte

Les hôpitaux ont plus que jamais besoin de sortir des sentiers battus et de générer de nouvelles manières d’envisager de travailler, d’interagir avec leur écosystème (comme l’évoque notre article sur l’hôpital virtuel). En effet, différents enjeux importants se présentent à eux :

  • L’enjeu de performance: il s’agit de la performance des infrastructures et bâtiments, mais également de tous les processus visant à réduire les temps d’attente et à supprimer les tâches sans valeur ajoutée pour offrir un service d’une qualité irréprochable.
  • L’enjeu de l’attractivité: il est non seulement lié à la qualité des soins, mais également à des valeurs ajoutées plus transversales comme la communication, les interactions ou encore l’accès physique.
  • L’enjeu de la fidélisation des professionnels de santé: il devient impératif d’assouplir l’organisation, d’offrir une qualité de travail élevée et d’anticiper les évolutions technologiques pour limiter le turnover et renforcer l’implication des équipes médicales.
  • L’enjeu de maîtrise des risques stratégiques: la transformation de la société pousse à développer des partenariats stratégiques avec de nouveaux acteurs de l’écosystème, à mieux identifier les risques pour l’institution et à construire une politique préventive forte.

 

L’innovation est un levier essentiel pour s’attaquer à ces différents enjeux. Il n’est pas rare de penser que les acteurs de la recherche (universités, etc.) et les start-ups sont les réservoirs privilégiés d’innovation pour la santé. Pourtant, l’énergie créative peut (doit ?) également prendre place au cœur même des institutions de soins. Cependant, le challenge n’est pas des plus simples dans le milieu de la santé, et particulièrement pour les hôpitaux. Le modèle classique d’innovation qui nous pousse à « prendre des risques » et à « rater rapidement pour mieux rebondir » trouve difficilement écho là où l’objectif est le bien-être et la bonne santé des êtres humains.  Les recherches convergent sur le fait que ces acteurs du monde des soins de santé ont particulièrement besoin d’innovations dites « disruptives » (voir par exemple les travaux de Christensen, Raynor et Rosenbloom).

Une innovation disruptive ?

Clarifions d’entrée de jeu le vocabulaire, en utilisant les termes (parfois anglo-saxons) les plus répandus.

  • On parlera d’innovation « incrémentale » pour définir une innovation ponctuelle et subtile, visant l’amélioration d’un produit, service ou processus basé essentiellement sur l’expérience et les compétences acquises par l’organisation. Elle est induite par les acteurs en place qui essaient, sans prendre de grands risques, de transformer leurs solutions afin de rester performants, attractifs, etc.
  • L’innovation « radicale » (ou « de rupture ») va impliquer une évolution importante pour un produit, service ou processus. Il peut s’agir d’un bond technologique important, d’une modification de l’usage ou d’un changement fondamental de dynamique entre les acteurs d’une organisation.

Ces concepts ont trait à l’évolution en termes d’usage, de technologie ou de process, bousculant plus ou moins les habitudes acquises sur un marché, dans un groupe ou un écosystème. Une autre notion vient compléter cette réflexion : celle reliée à la valeur perçue et admise par la cible de l’innovation (ce que l’on appelle le « réseau de valeur », l’ensemble des personnes concernées par l’innovation et qui jugera de sa valeur dans un contexte donné). On parlera, dès lors :

  • D’une innovation « sustaining » lorsqu’une innovation touche les performances des produits existants, sur la base des critères des clients existants ;
  • A contrario, l’innovation « disruptive » sera généralement décrite par les clients existants comme faiblement performante, mais disposera de nouvelles fonctionnalités ou de nouveaux attributs.

Ainsi, l’innovation disruptive (soit-elle incrémentale ou radicale) devra susciter, en plus de l’intégration des changements fonctionnels, une évolution de mentalité et d’usage importante. Car bien qu’elle ne soit pas, d’entrée de jeu, plébiscitée par le public actuel, ce type d’innovation vise la simplification, la baisse de coût et, surtout, l’usage plus adapté aux contextes des cibles. L’innovation disruptive représente donc la meilleure opportunité de répondre aux enjeux des hôpitaux : devenir plus performants (notamment en réduisant les coûts), plus attractifs pour les patients et pour le personnel médical (en s’adaptant continuellement et plus rapidement à leurs besoins), plus à même de contrôler le risque stratégique (en investissant dans des collaborations fructueuses et en entraînant les bons acteurs dans leur dynamique innovante).

Eyes-on glasses EVENA

Les lunettes Evena Eyes-On permettent aux médecins et infirmiers de voir à travers la peau des patients pour ne plus jamais rater une intervention impliquant une aiguille. Le dispositif associe une plateforme logicielle d’imagerie 3D multispectrale à une paire de lunettes qui permet au professionnel de la santé de visualiser de manière précise et en temps réel le système vasculaire des patients. Autrement dit, il va virtuellement projeter une image 3D du système vasculaire de la personne, au travers de la peau. Quand on sait que 40 % des injections, quel que soit leur type, sont un échec lors du premier essai, on comprend vite l’intérêt d’une telle innovation.

Cette technologie pourrait augmenter sensiblement les performances au cœur des hôpitaux, tranquilliser les intervenants et améliorer le confort des patients.

Plus d’informations sur : https://evenamed.com/eyes-on-glasses/

 

L’innovation disruptive repose sur quatre éléments clés :

  • La connaissance approfondie des individus et de leurs usages: l’exploration des contextes, des besoins profonds, des envies, des contraintes et des émotions des personnes pour qui l’on conçoit l’innovation ;
  • Les déclencheurs technologiques: en général, une technologie sophistiquée dont l’objectif est de simplifier ou automatiser des solutions à des problématiques qui nécessitent un processus complexe de résolution. On est confronté aujourd’hui l’influence de technologies liées à l’intelligence artificielle, aux big data, aux block chains, à l’impression 3D et plus largement aux NTIC ;
  • Les business model innovants: ils sont essentiels pour assurer la mise en œuvre des innovations, pour les rendre accessibles financièrement et pour pérenniser les organisations qui les produisent ;
  • L’évolution des mentalités et la création de nouveaux réseaux de valeurs: la création de nouveaux partenariats, de nouvelles interactions, de communications adéquates et de dynamisation des écosystèmes liés au projet innovant.

Un cinquième élément, mais non des moindres, reste essentiel en amont de tout processus visant à générer de la nouveauté : la culture de l’innovation.

La culture de l’innovation au sein des hôpitaux

Avant d’être disruptif, il faut pouvoir être innovant. Et pour ce faire, il est nécessaire de créer un environnement propice non seulement à l’émergence d’idées nouvelles, mais également à leur développement, à leur valorisation et à leur diffusion.

De manière évidente, cette culture va d’abord passer par l’humain. La formation, la sensibilisation et l’éducation, accompagnées d’un management adéquat, permettront aux individus de s’approprier les concepts de l’innovation et de devenir acteurs d’une véritable dynamique interne. L’exploration et l’identification des besoins se transforment en réflexes, l’ouverture et la collaboration s’ancrent dans la pratique quotidienne. Chaque personne doit pouvoir trouver la motivation intrinsèque d’être un élément de cette mécanique. La conviction transmise par le management est une des clés du succès.

Ensuite, il faudra s’intéresser aux processus. Construits en cohérence avec l’organisation et ses objectifs, tenant compte des contraintes de l’environnement et des capacités des parties prenantes, les processus vont cadrer les démarches d’innovation et les rendre plus efficaces. La mise en place de règles et de systèmes favorisera les actions constructives : identifier et transmettre une idée, impliquer les usagers, développer un projet, prototyper, tester, valoriser. Où ? Quand ? Comment ? Avec qui ? Combien ? Les processus doivent répondre aux principales questions des protagonistes et lever les freins potentiels. Quelques exemples simples :

  • La création d’un poste clé comme celui de Chief Innovation Officer, chargé d’assurer l’émergence, le développement et la propagation des innovations ;
  • La mise en place de centre d’innovation au cœur de la structure hospitalière, identifié et géré au quotidien, menant des projets précis et des actions concrètes sur le terrain ;
  • La mise à disposition de boîtes à idées avec un processus bien établi permettant de récolter, trier, prioriser et mettre en action les idées les plus porteuses ;
  • L’organisation régulière d’ateliers participatifs permettant d’implique le personnel médical tout autant que les patients.

Et ce ne sont là que quelques exemples simples parmi un large ensemble de possibilités. L’objectif étant d’assurer des démarches complètes, ne laissant pas s’évanouir les meilleures idées au milieu du chemin.

L’écosystème de l’institution jouera également un rôle capital. La dynamique de l’innovation doit être une subtile combinaison entre l’énergie créée en interne et les apports extérieurs. L’hôpital doit devenir un acteur clé et proactif de son réseau de valeurs et être capable d’établir des partenariats enrichissants. La culture de l’innovation nécessite donc l’ouverture vers ce monde du dehors, l’implication des parties prenantes (dont les usagers !), le renforcement des coopérations et la dynamisation de cet écosystème. C’est la création d’une chaîne de valeur complète, de l’émergence à la valorisation, qui inscrira l’hôpital et l’ensemble de son réseau dans un cercle vertueux.

 

Le cas du Children Hospital of Philadelphia

Le Children Hospital of Philadephia (CHOP) est l’une des références en la matière. Ils sont à la base de diverses innovations disruptives, dont des percées récentes dans l’imagerie lymphatique, l’immunothérapie du cancer et les maladies inflammatoires de l’intestin. C’est le berceau de la spin-out « Spark Thereapeutics », actif dans la thérapie génique.

Fort de son succès, l’organisation poursuit son évolution, notamment par l’ouverture, en 2015, du poste de Vice President for Entrepreneurship & Innovation actuellement occupé par Patrick K Fitzgerald. Sa mission est de fournir un soutien centralisé aux innovations existantes et futures. Le modèle du CHOP ne se contente pas de soutenir l’innovation, il est devenu un véritable producteur de solutions novatrices au cœur de son écosystème, assurant la mise en place de canaux de distribution efficaces et d’opportunités de scale-up. Cette commercialisation de l’innovation joue un rôle crucial dans le financement des efforts continus de l’organisation.

C’est grâce à ce processus (émergence, sélection, développement, valorisation) que le CHOP s’assure l’accès aux meilleures technologies, une qualité exceptionnelle de l’expérience patient et une amélioration continue des capacités de recherche de l’hôpital.

Patrick K Fitzgerald met en évidence quelques piliers de la culture développée au cœur du CHOP :

  • La dissémination de la raison d’être, le renforcement du sens des actions, la perception d’accomplissement pour chaque individu dans l’hôpital ;
  • Un comité scientifique formel dédié aux projets d’innovation, sélectionnant de 8 à 10 projets par an et dégageant les ressources nécessaires à leur développement et, le cas échéant, à leur valorisation ;
  • La création d’un centre de simulation pour développer en mode lean, pour mettre en place plus facilement des phases de tests et impliquer davantage les parties prenantes et usagers ;
  • De nombreux partenariats externes avec des acteurs variés (financiers, entreprises technologiques, institutionnels, etc.)

Le CHOP compte à son actif pas moins de 4 spin-outs et des dizaines de projets innovants dans tous les domaines des soins de santé, qu’ils soient ou non technologiques.

 

L’innovation disruptive non-technologique

Il est communément admis que les déclencheurs technologiques sont un des éléments clés de l’innovation disruptive. Cependant, la technologie n’est pas l’apanage de ce type d’innovation. De plus en plus de projets innovants et disruptifs voient le jour sans pour autant intégrer une dimension technologique importante. Certains d’entre eux n’y ont même pas recours.
C’est le cas de Happytal (https://www.happytal.com). Née suite à des expériences personnelles d’hospitalisation, happytal est une initiative à vocation sociale qui propose une offre de services et de produits contribuant au mieux-être des patients, facilitant le quotidien des familles (notamment à distance) et celui du personnel. On y trouvera des services permettant de mieux gérer le quotidien (comme la blanchisserie, la livraison de produits d’hygiènes), des services liés au bien-être (coiffure, réflexologie, esthétique), au divertissement ou encore à l’alimentation. Situés dans les halls des hôpitaux, ils sont au cœur des besoins des patients et de leurs accompagnants. Une plateforme à distance vient compléter l’offre et faciliter l’accès aux patients depuis leur chambre ou aux familles/aidants proches depuis leur domicile ou leur lieu de travail.

 

Pour en savoir plus

L’innovation disruptive dans les systèmes de santé, Mémoire de fin d’études, EXECUTIVE MBA 2010-2011, Caryn MATHY

L’Innovation à l’Hôpital : Quelles perspectives à court et moyen terme ?, Ylios

Building a culture of innovation in healthcare