Face au jeu, nous ne sommes pas tous égaux. Dans le contexte de la gamification tout comme dans celui du Gamestorming, il faut pouvoir tenir compte des différents types de joueurs.  

 

Gamification & Gamestorming

La gamification est l’utilisation des techniques du jeu dans des domaines non-ludiques pour susciter l’engagement, l’action, la curiosité ou encore favoriser l’apprentissage. Ce processus est à l’œuvre lors de la création de serious game, lorsqu’on souhaite ajouter la dimension du jeu dans un contexte pédagogique, informatif, formatif, marketing, collaboratif ou encore d’entraînement. Si la tendance actuelle nous amène à considérer de prime abord le serious game comme une expérience vidéoludique (un jeu vidéo dont la finalité première n’est autre que le simple divertissement), il recouvre pourtant une panoplie plus large de supports : jeux de rôle, jeux de plateau, etc.  Le mécanisme de la gamification permet, entre autre, de créer et fédérer des communautés en stimulant l’engagement, d’induire un comportement dans une situation donnée ou de prendre du recul par rapport à une problématique pour mieux pouvoir s’y pencher.   

La Gamestorming, quant à lui, est l’intégration des principes du jeu dans les techniques d’animation et de facilitation. En d’autres termes, il s’agit de la gamification spécifique de ces techniques. Notre article sur le sujet vous en dira davantage. La philosophie du Gamestroming, comme celle, plus large, de la gamification, a pour but de générer plus d’implication dans les activités proposées et de favoriser l’idéation et l’imagination, la collaboration et la co-création 

Mais sommes-nous tous des joueurs ?  

 

L’homme et le jeu

Enfant, le jeu n’est pas un choix pour l’humain mais bien sa manière d’être spontané, de se confronter au monde et d’apprendre. Cette faculté à utiliser les mécanismes du jeu perdure bien au-delà de l’enfance.  Johan Huizinga, historien du XXe siècle parle de l’Homo Ludens, l’homme qui insiste sur l’importance de l’acte de jouer dans son développement et ses échanges avec le monde.  

Le jeu est ancré en l’humain et certains auteurs, comme Huizinga et Caillois, ont démontré son importance fondamentale dans le développement des cultures et des structures sociales. Nos comportements sont souvent des formes de jeu élaborées qui nous permettent d’interagir plus facilement avec notre environnement complexe.  

Ramener le jeu dans un environnement professionnel avec pour but de poursuivre un objectif sérieux, par exemple, n’est cependant pas toujours chose aisée. Si nous sommes tous joueurs, certaines personnalités pourront plus facilement activer leur composante ludique, alors que d’autres auront besoin d’un accompagnement plus important avant de « rentrer dans le jeu » :  

  • Une explication claire du but recherché et le sens de la méthode utilisée ; 
  • Un échauffement simple et n’exposant la personne que de manière limitée ; 
  • Une description structurée de la méthodologie employée ; 
  • Un environnement adapté, chaleureux, agréable. 

Une fois notre sens ludique enclenché, il apparaît que nous ne revêtons pas tous le même costume de joueur.  

 

Comprendre les différents types de joueur

Plusieurs spécialistes se sont intéressés à la typologie des joueurs. L’une des références en la matière est Richard Bartle, professeur, écrivain et concepteur du premier MUD (Multi-Users Dungeon, un jeu multijoueurs basé sur des échanges rédactionnels). Après un entretien approfondi avec une trentaine de joueurs de son MUD, il a élaboré une typologie en quatre types de joueurs selon deux axes :  

  • Leur préférence dans l’interaction avec le monde de jeu ou avec les autres joueurs 
  • Leur préférence à se trouver dans l’action ou dans la réaction / l’interaction. 

Le « Killer » / « Tueur » : si c’est la dénomination d’origine, nous préférons opter pour le mot « Fighter » / « Combatif ».  Il joue pour gagner, pour être le premier. C’est la compétition et le challenge qui active sa motivation. Il veut être devant les autres et cela par n’importe quel moyen.  

Le « Socializer » / « Socialisateur » : il joue avant tout pour partager une expérience, avancer en équipe et créer des liens sociaux avec les autres joueurs. Il valorise la coopération et le lien humain.  

L« Explorer » / « Explorateur » : ce type de joueur souhaite acquérir une connaissance parfaite du jeu : règle, secrets, techniques. Il a besoin de contenu à découvrir, de territoire à explorer, de choix. Il chercher constamment les limites du jeu.  

L« Achiever » / Le « Collectionneur » : ce dernier trouve sa motivation dans l’objectif. Il se distinguera par sa volonté d’accomplir chaque tâche à 100% et de collectionner tout ce que le jeu pourra lui apporter. Dans le cadre des jeux vidéo, il visera la découverte de tous les niveaux, tous les badges, tous les équipements. Dans le cadre d’une animation participative, il veillera à suivre scrupuleusement les règles, à remplir les cases de tous les canevas et à s’assurer de respecter le temps.  

(Source : https://www.apartedigital.com/gamification/infographie-typologies-de-joueurs-gamification/ )

Cette typologie qui date du début des années 90 s’est montrée incomplète dans le cadre de systèmes gamifiés plus complexes. Andrzej Marczewski, web developer devenu spécialiste de la gamification, a donc établi un schéma plus complet utilisé aujourd’hui par la plupart des concepteurs de jeux. Il est composé de 6 types de joueurs.  

Socializers : équivalent du modèle de Bartle.

Free Spirit : une version plus précise de l’explorateur qui, en plus de l’exploration, est motivé par l’autonomie, l’expression de soi et la création. On y retrouve deux sous-catégories : « Explorer » et « Creator ».  

Achievers : Marczewski complète la définition de Bartle en insistant sur le désir de maîtriser le jeu (et non les autres joueurs) et de s’améliorer.  

Philanthropists : ils sont motivés par les objectifs et le sens. Ces personnes sont altruistes : elles veulent donner aux autres utilisateurs et enrichir la vie des autres sans attendre de récompense en retour. 

Players : ils sont motivés par les récompenses et feront ce qu’il faut pour les obtenir. Un équivalent du « Killer » de Bartle. 

Disruptors : ces joueurs sont motivés par le changement. Ils perturbent le système, que ce soit directement ou à travers d’autres utilisateurs afin d’imposer des changements bénéfiques ou négatifs. 

Précisons que les types « Player » et « Disruptor » sont chacun subdivisé en quatre sous-catégories que vous retrouverez notamment sur cette page 

Si ces typologies peuvent servir de guides, il est important de mentionner que les utilisateurs ne sont pas rangés dans des cases. Chaque individu possède en lui plusieurs facettes, à des degrés différents. Il est cependant communément admis qu’il existe une base dominante.  

Il existe d’autres modèles complémentaires, plus ou moins précis, qui permettent d’approcher le comportement des joueurs et de mieux comprendre les facteurs de motivation. Dominique Mangiatordi de la société belge OPP, spécialiste de la gamification, propose un modèle hybride basé sur les typologies de Bartle et de Marczewski 

 

Pourquoi s’intéresser aux différents types de joueur ?

Ces différents modèles permettent aux concepteurs de jeux et aux gamification designers de centrer leur travail sur l’utilisateur. Grâce à la connaissance des principaux comportements et facteurs de motivation liés, il devient plus aisé de tenir compte des attentes du joueur pour concevoir la mécanique ludique d’un jeu, soit-il sérieux ou de pur divertissement.  

Le concepteur pourrait choisir d’apporter la satisfaction aux différents types de joueurs et de créer un jeu universel ou chacun pourra trouver sa part de contentement. Il pourrait également opter pour un ciblage plus fin et viser principalement certains types de joueurs comme les explorateurs ou les socialisateurs.  

Dans le cadre du Gamestorming et de la facilitation, ces typologies nous permettent de concevoir nos protocoles d’animation avec plus de finesse et en assurant d’embarquer l’ensemble des participants. Nous veillerons donc :  

  • à intégrer une dimension collaborative importante dans un contexte d’échanges chaleureux ; 
  • à établir des règles précises tout en laissant un champ d’exploration disponible (par exemple, on évitera de sur-détailler un canevas ou l’on proposera des « cartes vierges » que les joueurs pourront compléter pour créer de nouvelles options) ; 
  • à introduire une notion de challenge, ne serait-ce que par le respect strict du timing ; 
  • à détailler l’objectif et le sens de l’activité, sa structure et sa durée ainsi que la manière dont les résultats seront exploités.  

Un facilitateur aguerri pourra, durant l’animation, repérer à quels types de joueurs il a à faire et attirer davantage l’attention de certains participants sur les dimensions les plus susceptibles de les motiver.  

 

Pour en savoir plus :

le livre Homo Ludens de Johan Huizinga

Le livre Les jeux et les hommes: Le masque et le vertige de Roger Caillois

Gamification Sphere, Les types de joueurs : https://gamificationsphere.wordpress.com/2016/03/22/types-de-joueurs-et-dutilisateurs/ 

L’Aparté Digital, La gamification et l’expérience utilisateur : https://www.apartedigital.com/gamification/infographie-typologies-de-joueurs-gamification/