Cette brève s’inscrit dans une série de publications destinées à partager l’expérience du WeLL sur l’un des aspects fondamentaux de l’approche Living Lab : l’implication des utilisateurs et leur(s) rôle(s) au niveau des projets, notamment au cours de l’étape de co-création.

L’étape d’exploration a permis aux utilisateurs finaux de participer à l’identification de leurs besoins, que ceux-ci correspondent à des besoins non (ou insuffisamment) satisfaits ou encore à des besoins émergents. L’enjeu de l’étape de co-création est, cette fois, de faciliter l’émergence de solutions qui répondent à ces besoins.

Avec l’approche Living Lab, c’est aux utilisateurs qu’il appartient, avec d’autres comme des experts technologiques, de trouver une ou plusieurs solutions innovantes. L’utilisateur est maintenant élevé au rang de créateur.

De quel type d’innovation parle-t-on ?

La co-création est sans doute porteuse d’innovations technologiques et/ou sociales. Elle n’est toutefois pas nécessairement synonyme de nouveautés ou d’innovations de rupture. L’éventail des situations où l’on parle d’innovations est large.

L’innovation peut d’abord consister à trouver de nouveaux contextes d’usages d’un produit déjà existant, approprié au besoin identifié au cours de l’étape exploratoire. L’innovation peut alors être réalisée soit au prix d’un détournement d’usage, soit moyennant des adaptations plus ou moins innovantes du produit/dispositif au contexte d’usage et aux caractéristiques des utilisateurs. Dans cette hypothèse, les co-créateurs pourront partir de dispositifs existants dans d’autres domaines ou dans des domaines proches comme source d’inspiration. On pourra ainsi aboutir à de nouveaux dispositifs qui seront des extensions ou des assemblages de dispositifs existants.

Lorsque la solution ne repose pas sur un dispositif existant ou l’adaptation d’un tel dispositif, la démarche de co-création doit alors aboutir à un nouveau dispositif répondant aux besoins identifiés.

Le cahier des charges, objet de travail de l’étape de co-création

L’«output» de la participation des utilisateurs à l’étape de l’exploration constitue l’«input» de l’étape de co-création. De même, l’«output» de l’étape de co-création constitue l’«input» du test d’usage. Ce processus d’innovation, aboutissant à la conception d’une solution innovante répondant aux besoins des utilisateurs, est un processus itératif où l’on se rapproche au fur et à mesure d’une solution complète, testée et évaluée positivement par les utilisateurs.

Au cours de l’étape de co-création, l’idée sera traduite en une solution sous une forme qui sera souvent celle d’un cahier des charges. Il s’agit d’un «objet intermédiaire» qui fera le lien entre les phases d’exploration, de prototypage et de test d’usages. Ce cahier des charges, plus ou moins formalisé, portera sur des propriétés particulières du dispositif en cours de conception – adaptation aux profils des utilisateurs tels que leur âge, leurs capacités d’apprentissage, etc.– mais aussi sur les fonctionnalités du dispositif (voir exemples ci-dessous).  Il s’ajustera au fil des interactions pour devenir, idéalement et in fine, un document qui sera ensuite traduit en prototype qui sera évalué lors de tests d’usages.

Dans la plupart des projets du WeLL, l’étape de co-création est dissociée de l’étape de prototypage ; bien que l’on puisse prototyper les solutions avec du papier, carton, ou encore de la plasticine par exemple. Cependant, ces activités vont essentiellement permettre de définir un cahier des charges sous la forme d’un rapport écrit, qui sera transmis à des experts, souvent technologiques, capables de réaliser un prototype fonctionnel.

Pour rendre le processus d’innovation le plus efficace possible, en termes de pertinence de la solution par rapport aux besoins identifiés et de rapidité d’exécution de la solution, le cahier des charges doit anticiper la dernière étape, c’est-à-dire le test d’usage. Il doit contenir un canevas de questions évaluatives (et les réponses de plus en plus concrètes et précises) portant, par exemple, sur la pertinence des fonctionnalités du prototype par rapport à ses objectifs, son utilisabilité, etc. Ces questions se posent plus ou moins explicitement aux participants durant tout le processus de co-création, contribuant ainsi à « affiner » progressivement le cahier des charges, et, de ce fait le dispositif qui sera prototypé.

La participation des différents profils à la conception collective de ce cahier des charges et plus spécifiquement aux questions évaluatives présente un triple avantage :

  • Elle accroît les chances que le dispositif ainsi co-créé soit aussi adapté que possible, à ce stade, à son contexte d’usage et aux profils des utilisateurs futurs. De ce fait, elle diminue également les risques liés à toute initiative d’innovation.
  • Elle augmente la vitesse d’exécution du dispositif, en travaillant rapidement, voire directement, sur les fonctionnalités pertinentes pour les utilisateurs.
  • Elle engage les participants dans la dernière étape, celle de l’évaluation ou tests d’usages. Ces participants s’y impliqueront d’autant plus facilement qu’ils auront co-produit les questions évaluatives inscrites dans le cahier des charges.

Le choix des outils méthodologiques : les deux dimensions clés

Sur le plan méthodologique, des outils appropriés devront être utilisés afin de permettre aux utilisateurs d’adopter une posture de créateur, et d’aboutir aux formes successives et attendues du cahier des charges. Deux dimensions des projets vont essentiellement guider le choix des outils méthodologiques :

  • Le degré de maturité technologique du projet ;
  • Le degré de maturité fonctionnelle du projet ;

Dans l’étape de co-création, tous les projets traités par le WeLL présentent en effet au moins ces deux dimensions. Elles peuvent d’ailleurs se combiner, certaines combinaisons étant plus fréquentes que d’autres (voir tableau).

L’objectif de la phase de co-création est d’atteindre à la fois un degré de maturité technologique et fonctionnelle élevé. Dépendant d’où se situe le projet au début de l’étape de co-création, le nombre d’interactions avec les utilisateurs et autres profils pertinents, comme des experts technologiques, sera plus ou moins élevé. Le « parcours » des projets, en fonction du degré d’avancement dans l’étape de co-création, est indiqué dans le tableau. 

Des exemples de projets en étape de co-création

Mens Sana, Pharmily et Brain Peace sont des projets technologiquement définis pour lesquels le porteur de projet souhaitait transformer les besoins identifiés et contexte d’usages en fonctionnalités. Dans le cas de Mens Sana, une solution sous forme d’application mobile avait été sélectionnée, et nous avons travaillé avec des patients en santé mentale et des professionnels de santé sur les différentes fonctionnalités de l’application. Ces fonctionnalités étaient en partie connues, car elles correspondaient à celles d’outils papiers déjà utilisés par les patients. L’atelier de co-création a essentiellement consisté à voir comment transposer, adapter, voire faire mieux que ces outils papiers grâce à un format application mobile.

Le projet Brain Peace est également un projet dans lequel la technologie avait été identifiée sous la forme d’un casque de neurofeedback. Pour ce projet, les contextes d’usages du casque ont été retravaillés, et une adaptation du design du casque a été réalisée, entre autres avec des designers et des patients.

Dans le cas des projets MSF Nutrition et Easy-P, les besoins ayant été identifiés clairement, les fonctionnalités de la solution à mettre en place étaient relativement facile à définir. Le choix des technologies permettant de répondre aux besoins et fonctionnalités identifiés étant limité, l’étape de co-création a consisté essentiellement à comparer les technologies disponibles et travailler sur le design de la solution. Dans le cadre de ces deux projets, la présence d’experts technologiques et de designers, en plus des utilisateurs, a été indispensable.

En ce qui concerne le projet Happy Mum, ni les fonctionnalités ni les technologies n’avaient été identifiées. L’étape de co-création a consisté en une première phase où les propriétés des solutions répondant aux besoins identifiés ont été définies avec des mamans, papas et professionnels de santé. Parmi les propriétés trouvées, on trouve par exemple la neutralité des solutions d’un point de vue idéologique (par exemple ni pro-allaitement, ni « non pro-allaitement »). La deuxième phase de co-création a consisté à rassembler le même public que précédemment, et des experts technologiques. L’objectif a été alors de voir quelles technologies pouvaient à la fois correspondre aux besoins et aux propriétés identifiés.

De manière générale, il est évident qu’un projet en étape de co-création qui n’a pas un degré de maturité technologique avancé va nécessiter dans cette étape la participation d’experts technologiques, en plus des utilisateurs. De même, d’autres profils comme des designers vont également pouvoir intervenir dans cette étape de co-création.

Le projet Cocktail Challenge est très spécifique. Pour les autres projets, les étapes de co-création ont été réalisées sur base de 1, 2, ou 3 ateliers avec utilisateurs, et parfois des réunions supplémentaires avec des experts technologiques. Pour le projet Cocktail Chalenge, des étudiants devaient réaliser en 72 heures des prototypes de solutions liées au handicap en utilisant une ou plusieurs technologies proposées par un Fablab et/ou des systèmes Arduino. Les étapes d’exploration, co-création et test d’usages ont donc été réalisées sur un temps très court, au moyen de boucles itératives très rapides.

Pourquoi vous parler de ça ?

Certes les outils existent et ne cessent de s’inventer au fur et à mesure que l’approche collaborative s’étend aux utilisateurs. Elle s’affine également au fil des retours d’expérience des participants. C’est là le sens de cette brève qui engage le WeLL dans un exercice réflexif sur ses pratiques et dans le partage avec tous ceux qui se sont impliqués dans les projets traités et les actions menées.

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