On l’aura compris : la crise du Covid-19 aura bousculé les habitudes. Dans nos quotidiens et dans les milieux hospitaliers. Pour répondre à l’urgence, l’hôpital de la Citadelle aura ainsi fait tomber les barrières pour mettre en place de nouveaux outils et méthodes de travail. Petit tour d’horizon de ces innovations.

 

La crise sanitaire du coronavirus a été déclarée assez soudainement. Les mesures dans les milieux hospitaliers devaient être prises endéans des délais courts, laissant la place à des initiatives qui n’auraient pas pu voir le jour dans un autre contexte. « Cette crise a fait tomber de nombreuses barrières, qu’elles soient symboliques, administratives ou organisationnelles », nous explique Antoine Gruselin, Public Relations et Project Manager Officer à la Citadelle. « Nous n’avons pas développé des innovations sur mesure, au vu de l’urgence, mais plutôt adapté, voire détourné des choses existantes pour répondre aux besoins face à cette situation sanitaire. »

 

Le coronovirus a contraint le personnel soignant à changer leurs procédures de soins à différents niveaux. Tout d’abord, au niveau des équipements de protection (EPI). Pour travailler en toute sécurité, les prestataires de soins devaient s’habiller avec l’une de ces tenues pour chacune des visites en chambre, quelle qu’en soit la raison. « Ayant anticipé la situation voyant ce qui s’était produit en Chine, la Citadelle a augmenté la quantité de ces équipements à acheter. Il n’en reste pas moins qu’il fallait entamer une réflexion autour de leur usage pour les économiser et y recourir uniquement quand c’était vraiment nécessaire. » Un groupe de réflexion s’est alors mis en œuvre et a étudié de multiples pistes pour communiquer avec le patient sans entrer dans les chambres : utilisation de talkies walkies ou de babyphone bidirectionnel, interrupteur avec sonnette et interphone, etc. Pour chacune de ces idées, des appels étaient lancés à travers des réseaux sociaux, des connaissances ou des partenaires. « Au final, nous avons gardé l’option des babyphones. Cette solution avait ses limites puisque ce matériel ne peut utiliser que 16 fréquences différentes. Un peu juste pour les chambres dédiées au Covid19. Mais cela a fonctionné dans l’ensemble puisque certaines chambres étaient aussi équipées d’un téléphone classique », raconte encore Antoine Gruselin.

 

 

Certaines actions ont été un peu plus invasives que d’autres. Des menuisiers ont scié une partie des portes et placé des plexiglas afin permettre une visibilité à l’intérieur des chambres. « Voilà un exemple d’un acte qui met en péril l’intimité des patients, un aspect qui est important pour les usagers en général. Il n’aurait donc pas pu être posé en dehors des circonstances exceptionnelles de la crise. Innover, c’est parfois être bordeline pour le bien du plus grand nombre »

 

Outre le fait d’être assez inédites, ces expériences auront également un impact sur les projets futurs. « Nous avons un projet de rénovation et de construction important en cours pour la Citadelle. Jusqu’alors, nous n’avions pas intégré la possibilité d’une communication avec l’extérieur des chambres, outre les téléphones. Voilà qui est fait… »

 

La Citadelle dispose d’une capacité de 900 lits en rythme de croisière. Une partie a été dédiée au coronavirus, permettant d’absorber près de 910 admissions dont 60 cas en soins intensifs durant toute la crise. Autant dire que le personnel soignant aura été largement sollicité pendant cette crise. Pour gérer la situation au mieux, une « task force » composée de membres issus de l’équipe opérationnelle, a été mise en place. Des réunions bihebdomadaires ont ainsi été organisées pour réfléchir aux diverses problématiques : protection et état psychologique du personnel soignant, lien entre les patients et leur famille, nettoyage des salles, etc. Des solutions ont pu alors émerger, émanant directement des personnes opérant sur le terrain. « Cette démarche bottom-up s’est révélée très efficace », explique Antoine Gruselin. « Pour vous donner un exemple d’un trajet d’innovation, nous avions une réflexion autour de l’utilisation du scanner. Il devait être nettoyé de fond en comble après chaque patient ‘covid’ entrainant un très grand retard dans la succession des examens. Des membres de l’équipe ont alors proposé que l’on recoure à des housses mortuaires pour maintenir le patient dans un environnement fermé et limiter le nettoyage extérieur. Cela pourrait paraître un peu morbide de prime abord, mais cela résulte finalement d’une question de bon sens. Nous avons creusé cette idée et il s’est avéré qu’une start-up française avait effectivement développé des housses transparentes pour patients avec des tirettes pour accéder aux différentes parties du corps. A la base, aucun lien avec le Covid, donc. La direction de la Citadelle a décidé d’investir dans ces housses. Aujourd’hui elles servent notamment pour les ambulances afin de gagner du temps dans le protocole de nettoyage entre deux patients. »

 

 

Différentes voies pour différentes idées

Ces idées innovantes ont chacune pris des voies différentes, toujours guidées par le bon sens. L’utilisation des masques Décathlon[i] est un des exemples de solutions qui ont été étudiées sans pour autant être concrétisées. « Nous avions acheté les masques au magasin d’équipement de sport, nous étions en contact avec l’entreprise de Charleroi qui imprimait les embouts par l’intermédiaire d’un autre hôpital bruxellois. Un assureur liégeois est entré dans la danse pour aider au financement. Bref, nous nous sommes équipés. Puis il n’y a pas eu de consensus en terme médical entre les acteurs du terrain. Alors… nous les avons laissés de côté. Cela s’est fait sans regret, nous devions essayer et être prêts. Nous pourrons désormais affiner le projet plus sereinement en cas de deuxième vague ou d’une autre pandémie. »

 

Autre piste qui a été explorée et qui finalement n’a pas été utilisée : la transformation en 72 heures d’une salle d’opération en salle ‘Covid’ avec une salle d’opération et six lits en soins intensifs. « Heureusement quelque part, son utilisation n’a pas été requise, mais cette connaissance et la possibilité de le faire restent acquises pour des situations futures où cela serait utile. »

 

 

Les visites étant interdites pendant la crise, les équipes ont mis en place une conciergerie. Ce lieu permettait d’accueillir l’entourage pour qu’ils déposent des colis à l’intention des patients. Ces paquets étaient alors étiquetés pour être tracés, mis en décontamination pendant 24 heures puis livrés aux patients. Un photomaton a également été monté pour que les colis soient accompagnés d’une photo de son expéditeur. Au total, prés de 2000 colis ont circulé à travers cette conciergerie. « La crise avait totalement isolé les patients. Par cette action, nous avons remis un peu d’humanité et de contact pour eux. Les personnes de la Citadelle qui s’y sont investies ont vécu une vraie satisfaction professionnelle à fournir ce service. Aujourd’hui, avec le retour des visiteurs dans l’hôpital, nous avons fermé cet espace. Mais voilà encore une innovation gérée par du personnel qui a totalement créé un nouveau métier et que l’on gardera précieusement dans nos tiroirs. »

 

 

Au niveau de l’équipe, une initiative a également vu le jour. Soucieux des drames que le personnel vivait tous les jours aux soins intensifs, un chef infirmier a mis en place un débriefing selon une méthode israélienne. « Les membres du personnel étaient confrontés à plusieurs morts par jour. Une situation assez inédite pour eux. Nous avons vu certains d’entre eux montrer des signes alarmants quant à leur état psychologique. L’idée de ce débriefing était de faire un point quotidien avec, d’un côté, les aspects plus techniques et, de l’autre, les aspects psychologiques des soignants afin de détecter les prémisses d’éventuels burn-out. Dès que l’un des membres de l’équipe montrait des signes d’épuisement, il pouvait être pris en charge et accompagné. Grâce à ces interventions ponctuelles, l’équipe a tenu le coup un peu plus facilement tout au long de cette crise du Covid. »

 

Des initiatives à capitaliser

A l’heure où sonne le déconfinement dans la population, les milieux hospitaliers sont encore loin d’être revenus à la normale. Entre les actes médicaux qui ont été repoussés (et qui n’ont donc pas été facturés) et les aménagements pour répondre aux besoins de la pandémie, le coût de cette crise s’élève déjà en dizaines de millions d’euros pour la Citadelle. Sans compter le fait que l’hôpital doit également se préparer au retour des visiteurs avec les normes sanitaires requises par la situation actuelle. Mais l’envie est de maintenir cette dynamique et de capitaliser sur les actions qui ont été entreprises jusqu’ici.

 

« Nous avons prévu de mettre en place un centre d’innovation, entre autres avec le WeLL, pour laisser la place à ce type de développement. Il est essentiel pour nous de garder cette dynamique qui a émergé du personnel. » Et Antoine Gruselin d’insister encore sur le fait que toutes les initiatives ont été rendues possibles grâce à l’implication du personnel, depuis les services de nettoyage jusqu’aux médecins. « Pour aboutir à des fonctionnements efficients et innovants, il faut que les différents départements communiquent. Il y a encore un exemple sur la table actuellement. Nous devons remplacer toutes les télévisions dans les chambres. Nous aimerions profiter de cette action pour réfléchir à l’utilisation de demain de ces télévisions. Elles pourraient être par exemple une interface de communication pour commander ses repas ou d’autres choses. Les services doivent maintenant échanger pour voir comment concrétiser cette piste de développement. »

 

Antoine Gruselin conclut enfin : « La crise du Covid19 aura été un détonateur, mais tout cela n’aurait pas été possible si la dynamique n’était pas déjà présente auparavant au sein du personnel et de la direction. Aujourd’hui, nous avons envie de nous focaliser sur le positif que cette situation dramatique a néanmoins laissé derrière elle. »

 

[i] Pour comprendre, voir notamment cet article sur l’initiative : https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_coronavirus-la-vub-va-transformer-des-masques-de-plongee-en-protection-pour-le-personnel-de-sante?id=10490478