Stent.care ou comment créer du lien et valoriser l’expérience des pathologies dans l’intimité de l’anonymat.

Si l’essence même d’un réseau social est bien le partage et la création du lien, ces plateformes peuvent toutefois rapidement transformer les personnes dans un état de fragilité en « oiseaux pour les chats ». L’idée de Stent.care trouve sa naissance exactement dans cette envie de protéger les patients tout en les mettant en relation. Car une chose est sûre : la maladie (surtout quand elle est invisible) est une source d’isolement. Or, s’il y a bien un moment dans notre vie où nous avons besoin d’empathie et de partage d’expériences, c’est bien lorsque la souffrance habite notre quotidien. Stent.care est ce réseau social : il rassemble les personnes atteintes de pathologies diverses pour leur permettre, anonymement, de se rencontrer et de partager autour de leur quotidien alourdi par la maladie.

Lucio Scanu est l’initiateur de ce projet. Il a lui-même grandi en situation de handicap avec une exstrophie vésicale, une maladie rare nécessitant un accompagnement important et de nombreux soins médicaux. Il a fait l’objet de 46 interventions chirurgicales et, lorsque l’on additionne ses périodes d’hospitalisation, il cumule plus de 10 années de vie à l’hôpital. Arrivé à l’âge adulte, Lucio a donc naturellement choisi de s’engager dans le monde associatif des fédérations de patients. En 2012, il se voit toutefois contraint de cesser ses activités suite à une rechute qui le maintiendra alité pendant 18 mois. Cette période n’en sera pas moins productive pour autant, puisqu’il l’utilisera pour prendre du recul sur ces activités et en dresser le bilan. Il tombe ainsi sur le livre d’un juriste autrichien, Max Schrems, « Kämpf um deine Daten », en français « Battez-vous pour vos données ». Il prend conscience alors que les réseaux sociaux transforment les patients en victime consentante, renforçant parfois leur exclusion sociale et professionnelle.

Il rencontre alors des représentants de l’ULB et de l’UCL pour leur soumettre son idée : créer un réseau social destiné aux patients, sans que celui-ci ne se construise à leurs dépens. Si sa démarche est alors qualifiée de « folle », elle trouve néanmoins un écho chez quelques professeurs universitaires. Une start-up wallonne voit alors le jour : Kedroz, une SPRL qui ne sera pas commerciale, mais plutôt solidaire et collaborative. Son objectif : mettre en place un réseau social où les patients pourraient partager leurs expériences et leur quotidien sans que leurs données personnelles ne soient révélées.

« C’est un mélange de Twitter, de Facebook et de Meetic, explique Lucio Scanu, initiateur du projet, mais, à la différence de ces réseaux, nous mettons l’accent sur la protection des usagers. Ceux-ci s’inscrivent avec un pseudonyme qu’ils conserveront d’un bout à l’autre. Le questionnaire qui leur est soumis au moment de leur inscription ne concerne que leurs pathologies et leur région d’origine. » Une donnée géographique qui prend tout son sens au regard de la différence dans la prise en charge de soins de santé d’une région (ou d’un pays) à l’autre.

Et c’est bien le partage d’expériences entre pairs qui est valorisé. Stent.care ne sera pas une plateforme web d’information sur les pathologies (voire sur cette thématique le dossier « Internet, le patient et le médecin »).

 

Stent.care, pas tout à fait un acteur de plus

Lucio Scanu le précise : il n’est pas question de remplacer ce qui existe déjà. « Stent.care tend à accueillir des patients, mais aussi des anciens patients, des associations, des professionnels de la santé ou encore des aidants. Notre position est celle de facilitateur de communication entre tous les acteurs concernés de près ou de loin par la santé. » La plateforme peut ainsi créer des ponts entre les patients et des fédérations ou des associations de patients.

Un stent est un dispositif glissé dans une cavité naturelle humaine pour la maintenir ouverte. Il est, par exemple, souvent utilisé pour les patients atteints de problèmes cardiovasculaires. Pour Stent.care, le « stent » est comme une gaine protectrice et un facilitateur de communications

Les professionnels de la santé ont quant eux demandé à être intégrés au projet. Et l’initiateur d’expliquer que, dans le contexte actuel des soins, les praticiens manquent de temps pour questionner leurs patients sur la façon dont ils vivent les traitements au quotidien. « Or, ce ‘retour utilisateur’ est essentiel pour mesurer l’adéquation entre la thérapie et la maladie. Stent.care, sous couvert de l’anonymat, peut apporter un éclairage sur le vécu des patients. La notion de patient-expert est d’ailleurs de plus en plus évoquée. Ces experts sont bien plus proches du monde associatif que celui de la recherche. La plateforme vise également à établir des liens entre ces deux mondes. »

À terme, la plateforme vise à devenir un espace virtuel de rencontre au milieu européen. « Stent.care a été lancé en mai 2019. Sans avoir fait la moindre campagne de communication, nous en sommes déjà à 1500 utilisateurs en Belgique et en France. »

Le financement se fera quant à lui via de la publicité dite ‘éthique’. « Nous reprenons la publicité dans le sens premier du terme : rendre publique une information, la faire connaître. L’idée est de faire connaître aux différents profils des services disponibles auxquels les patients ne penseraient pas forcément : des coiffeurs à domicile ou des soins ambulatoires pour des personnes immobilisées chez elles par exemple. » La plateforme entend ainsi valoriser sa connaissance des profils en tenant compte des spécificités des pathologies sans, déroger pour autant au respect des règles de confidentialité.

 

Un anonymat au service du partage de l’intime

« Un jour, j’ai été contacté par le CEO d’une entreprise bruxelloise. Il avait été atteint d’un cancer et avait conscience que sa maladie risquait d’impacter sa carrière. Il m’a raconté donc la difficulté de vivre avec cette maladie tout en maintenant sa situation cachée à ses collaborateurs. » Et d’évoquer alors la sensation d’être comme ‘un oiseau pour le chat’.

Quand il arrive sur la plateforme, l’utilisateur se voit proposer un questionnaire. Il est question de sa ou de ses pathologies et de sa région. «  À partir de là, le réseau met en relation des gens qui ont des points communs. Il n’est pas donc pas question de leur demander d’amener des gens que l’on connaît. L’idée est justement de ne pas se retrouver avec son voisin ou une connaissance. » Force est de constater que le partage de l’intime est plus facile avec des gens que l’on ne connaît pas qu’avec les personnes que l’on côtoie tous les jours. « Par ailleurs, nous constatons, avec bonheur, beaucoup de bienveillance entre les utilisateurs. »

Il est ainsi possible de publier son expérience, de s’abonner à d’autres utilisateurs et de voir leurs publications et d’interagir avec eux, mais également de se mettre en relation via une messagerie privée. Le tout, toujours via un pseudonyme.

 

« Vivre avec un handicap, c’est vivre avant tout… »

« Une étude a établi que, lorsque l’on tape une requête dans un moteur de recherche à propos des communautés de patients, les associations dédiées n’apparaissent qu’à la 8e position. Ce qui signifie que les acteurs économiques monopolisent largement cet espace virtuel. » Le lien est essentiel pour les personnes en souffrance. Il ne peut pas être créé au prix d’une exploitation commerciale. C’est justement là que Stent.care se positionne.

« La start up est un acteur psychomédicosocial dans un univers numérique. Notre envie n’est certainement pas d’être des futurs Bill Gates ou Steve Jobs. À l’âge de 50 ans, notre souhait est avant tout de rendre à la collectivité ce que nous avons reçu précédemment », conclut Lucio Scanu.

 

Stent.care a été fondé par Lucio Scanu qui a été rapidement rejoint par Frédéric Koralewski et Natan Benedetti.