Un constat : Internet et ses différentes applications (sites d’information, blogs, réseaux sociaux, forums, etc.) sont devenus au cours de la dernière décennie un acteur clé, incontournable dans la gestion individuelle et publique de la santé.

Les pratiques des individus profanes (entendus comme non professionnels de la santé) qui entendent rechercher activement une information de santé ou d’ordre médical, que ce soit pour eux-mêmes ou leurs proches et la partager, le cas échéant, avec leur médecin, divisent le monde expert de la profession médicale. Il n’en reste pas moins que les profanes sont de plus en plus nombreux à marquer leur volonté en tant que patients à devenir partie prenante de leur santé ou de celle de leurs proches, au même titre que le médecin-expert. Cette évolution vers plus d’empowerment dans le domaine de la santé s’inscrit dans une tendance lourde d’une volonté des citoyens d’une gestion plus participative des intérêts particuliers mais aussi collectifs.

Le champ des interrogations quant à l’impact potentiel de cette évolution sur la relation patient-soignant étant très vaste, les nouvelles pratiques en matière de recherche d’information feront l’objet de trois brèves respectivement consacrées à :

  • la présentation des “faits” : Quel est le phénomène, ses variantes, ses déterminants individuels et sociaux, les motivations et les besoins des profanes ainsi que celles des médecins et enfin l’impact sur la relation patient-médecin.
  • la présentation du contexte : Quel est le contexte culturel, social, économique etc.… toujours en évolution et à l’origine de nouveaux besoins d’information et de nouvelles pratiques chez les profanes mais aussi chez les acteurs professionnels de la santé ?
  • la présentation des enjeux : Quelles sont, pour l’ensemble des parties prenantes, les forces et les faiblesses de la situation actuelle – comment évaluer la qualité de l’information, par exemple ? -.  Quelles sont les actions publiques à définir et implémenter pour assurer la faisabilité du passage d’internet comme source d’informations non citée explicitement par le patient, à une source d’information que le patient apporte lors de la consultation pour arriver à une décision de meilleure qualité (exactitude, faisabilité, acceptabilité…) [1] ?

Internet, le patient et le médecin : quel est le phénomène et son impact sur la relation patient-médecin.

Une présence massive d’internet pour la recherche d’information santé et médicale.

Les nombreuses études scientifiques menées sur les pratiques de la recherche d’information santé et médicale accessible au profane montrent une croissance rapide de cette pratique dans les sociétés – de plus en plus nombreuses- à être connectées. Selon l’eurobaromètre [2] réalisé en 2016 portant sur l’utilisation d’internet comme source d’information santé et médicale, 6 européens sur 10 recherchent de l’information santé sur internet, et 90% de ces personnes déclarent qu’internet les a aidés à améliorer leur connaissance dans des domaines relatifs à la santé.

Une répartition inégale de l’usage d’internet en santé dans la population

Les usagers des TIC dans le domaine de la santé sont inégalement répartis dans toutes les différentes catégories sociologiques de la population. Une question d’âge, une question de niveau socio-économique – les plus instruits, scientifiquement plus alphabétisés consultent plus – et mais aussi une question de genre. Certaines références montrent que ce sont les femmes avec un niveau de scolarité élevé qui se révèlent les plus proactives en ce domaine et consomment le plus le web pour une information-santé [4, 5].

On observe par ailleurs une variabilité dans la mobilisation de dispositifs technologiques (ordinateur, tablette, smartphone), notamment en fonction de l’âge – les plus jeunes se servent plus des smartphones – et sans doute du degré d’approfondissement de la recherche d’information (temps et confort de l’utilisation).

Motivations et besoins des internautes

Les motivations du profane sont diverses. Elles vont de l’envie du consommateur-internaute soucieux d’être au fait des alternatives possibles, des coûts [6] à une prise de contrôle sur la gestion de sa santé (empowerment). Cette prise de contrôle peut connaître plusieurs degrés, depuis l’accès à certains résultats d’analyse au dossier médical complet dans le prolongement du droit à l’information, ainsi qu’à la négociation portant sur le traitement (co-décision entre le patient et son médecin). Ajoutons par ailleurs que le profane recherche de l’information pour lui-même mais également pour ses proches, membres de sa famille [7].

D’une manière générale, la motivation de l’internaute correspond à un besoin d’en savoir plus. Ce besoin se manifeste plus particulièrement à deux moments clé : avant une consultation et après cette dernière [8 , 9]!

Avant la consultation, l’individu cherche d’abord à évaluer son besoin de consulter. Suis-je vraiment malade au point de consulter ?  Il procède ainsi à une analyse individuelle du risque qu’il court en ne consultant pas. S’il décide de consulter, il va aussi éventuellement chercher vers quel spécialiste/quel traitement s’orienter. Enfin, l’information médicale collectée peut servir au patient à établir un partenariat avec son médecin et à l’aider à procéder à une consultation plus efficiente et plus efficace en anticipant les questions qui pourraient lui être posées.

Après la consultation, le patient cherchera à donner un sens à ce que lui aura dit le médecin et à comprendre par exemple les résultats d’analyses. Internet peut se révéler à ce stade un outil de mise en œuvre du droit à l’information du patient. Il pourra aussi recourir à Internet pour obtenir un support émotionnel de la part de personnes ayant vécu une expérience similaire (associations de patients).

Il reste à mieux appréhender ce qui se passe pendant la consultation. Le patient dévoile-t-il sa source d’information au médecin ou se limite-t-il à lui communiquer (ou pas) les informations dont il dispose sans citer Internet ? On touche là une question sensible au vu de la polarisation des positions des professionnels de la santé sur les avantages/désavantages d’Internet comme source d’information santé (grand public), voire d’information médicale (experte). Si l’on se réfère à une recherche scientifique menée sur l’impact de la consultation du site Doctissimo, nombre de patients évitent d’en faire état [9]. Plus récemment, une enquête menée par Test-Achat (association de consommateurs) en Belgique en avril 2017 [10] auprès de praticiens indique que ceux-ci pensent que seuls 12% des patients consultent internet à la recherche de symptômes alors qu’ils sont 77% à le déconseiller vivement. Une sous-estimation vraisemblablement importante et qui n’est pas sans conséquences sur la relation patient-médecin.

L’impact sur la relation patient/médecin

De nombreuses recherches [11] sont consacrées à l’impact potentiel de la manière dont le médecin accueille le recours à Internet par son patient sur la relation de confiance entre les deux parties.

En acceptant d’entendre ce que le patient a appris via ses investigations personnelles (médias traditionnels ou internet), en argumentant son point de vue en cas d’information contradictoire, en acceptant d’investiguer la question ou encore en suggérant des sites qu’il juge plus fiables, le médecin augmente son capital de confiance auprès de son patient. Renforcer la confiance du patient aide le patient à s’approprier le diagnostic et le traitement (adhérence). Dans une relation de confiance, la crainte des médecins de voir leur expertise contestée semble donc sans fondement. Le médecin garde toute légitimité et reste la référence première en cas de maladies graves [12].

Il en va tout autrement lorsque la réaction du médecin consiste à ignorer l’information présentée par le patient, voire de l’écarter d’un méprisant “ah oui, encore Dr. Google”. Le risque est d’entamer une relation de confiance, un risque d’autant plus important que la confiance est une dimension asymétrique. Elle l’est dans la mesure où il suffit de peu de choses pour la perdre mais la regagner se révèle souvent une tâche ardue voire impossible. En invoquant son expertise face à un profane, le médecin crée des conditions défavorables à sa crédibilité en renforçant sa dissimilarité par rapport à son patient alors que c’est la similarité des objectifs du médecin et de son patient, des valeurs éthiques telle que par exemple la prise en charge de la douleur qui est la clé d’une relation de confiance. L’“empowerment” du patient contribue au contraire à renforcer cette similarité et de ce fait la légitimité du médecin [12].

Pour en savoir plus :

[1] Meadel C., Akrich M., Internet, tiers nébuleux de la relation patient-médecin, Les tribunes de la santé 4, 41-48, 2010.

[2] http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/flash/fl_404_en.pdf

[3] http://www.fondationchagnon.org/fr/que-soutenonsnous/projets_premieres_annees/passeportsante.aspx

[4] Rice R.E., Influences, usage, and outcomes of Internet health information searching: Multivariate results from the Pew surveys. International Journal of Medical Informatics, 75(1), 8-28, 2006.

[5] http://www.passeportsante.net/fr/P/QuiSommesNous/Fiche.aspx?doc=publicite_rp  : 2,5 millions de visiteurs uniques mensuels dans la francophonie – 63% de femmes, dont 810 000 en France (source Médiametrie NetRatings, novembre 2015).

[6] http://www.nextdentiste.com/lemergence-du-patient-consommateur-eclaire/

[7]Ferguson T.,  From patients to end-users, British Medical Journal, Mar 9 ; 324 ;555-556, 2002.

[8] Attfield S, Adams A., Blandford A, Patient information needs: pre and post consultation, Health Informatics Journal, 2006, 12, 165-177, 2006.

[9] Bowes P., Stenvenson F., Ahluwalia S. and Murray E., I need to be a doctor: patients’experiences of presenting health information from internet in GP consultations, British Journal of General Practice, 62(604), 732–738, 2012.

[10] Stevering S., Van Lussum D. , A la recherche du généraliste idéal, Test Santé (étude Test Achats), 138, 14-18, avril/mai 2017.

[11] Tan SSL., Goonawardene N., Internet Health Information Seeking and the Patient- Physician Relationship: A Systematic Review, Journal of Medical Internet Research, 19 (1), 2017.

[12] Thoër Ch.,  Internet: un facteur de transformation de la relation médecin-patient?, Communiquer, 10, 2013, 1-24, 2013.