Au sein des groupes Balint, les médecins évoquent leurs difficultés dans la relation avec certains patients. Une démarche à ne pas négliger quand on sait que le praticien fait parfois lui-même partie du dispositif de guérison.

 

Les groupes Balint sont en effet des communautés dites ‘de pratique’. Ils rassemblent des professionnels de la santé en vue de partager des pratiques, de poser des questions à leurs pairs et de se soutenir mutuellement. Mais il n’est pas question ici de parler de diagnostics : dans les groupes Balint, on présente des situations de soin conflictuelles…

 

Quitter la formation classique pour aller vers une école inversée

Les groupes Balint doivent leur nom à leur fondateur, Michael Balint (1896-1970). Originaire de Budapest, il est lui-même le fils d’un médecin qu’il accompagne lors de ses visites. Adulte, il devient docteur en médecine et psychanalyste. Il expérimente alors des séminaires pour évoquer les pratiques et des difficultés relationnelles rencontrées au quotidien avec les patients. Très vite, il prend conscience que des échanges entre praticiens, guidés par un animateur, seront plus efficaces. Il crée alors les groupes Balint : un médecin présente une situation et les autres réagissent, apportant ainsi leurs visions et leurs expériences, sorte d’école inversée, et qui n’est pas sans rappeler la technique de co-développement professionnel.

Pendant la guerre, Michael Balint fuit la Hongrie. Il s’installe alors à Manchester, en Grande-Bretagne. Il élabore une formation spécifique pour les médecins généralistes et développe une réflexion théorique originale sur la relation soignant-soigné et le rapport particulier que chaque sujet entretient avec la maladie. Ses ouvrages deviendront alors des références au fil du temps.

À partir de ses références, sa méthode trouvera une existence propre en Grande-Bretagne, bien sûr, mais également à l’étranger. En Belgique, dés les années 50’, puis dans le monde : en Europe mais aussi aux Etats-Unis et en Russie.

Dans notre pays, le Dr Philippe Heureux, médecin généraliste et maître de conférences à la faculté de médecine de l’UCL, est l’un des porte-paroles de cette méthode. Il anime également aujourd’hui des groupes et organise des formations dans lesquelles sont inclus ces groupes de paroles.

« Ce sont des groupes de 8 à 12 personnes qui se retrouvent régulièrement pour réfléchir autour de la présentation d’un cas clinique dans lequel la relation soignant-soigné pose problème et questionne, raconte-t-il. Les participants sont des soignants qui ont tous des responsabilités thérapeutiques. Ils sont guidés par un à deux animateurs, médecins et/ou psychologues. Généralement, on part d’un récit, d’un témoignage et chacun réagit selon son vécu. L’objectif est d’identifier les blocages éventuels dans la relation patient-soignant. »

 

Un engagement, mais selon les besoins de chacun

Les sessions s’organisent environ une fois par mois. Pour rejoindre ces rassemblements, il est demandé aux participants d’être présents pendant au moins une année. Certains y restent le temps de prendre les outils dont ils ont besoin, à savoir, pendant un an ou deux, d’autres y participent de façon permanente. « Sur l’ensemble de la profession, il y a assez peu de médecins qui font partie d’un groupe Balint. En général, un médecin décide de venir suite à des situations problématiques face auxquelles il s’est senti démuni. » Et le Dr Heureux de préciser que c’est essentiellement via le bouche-à-oreille que les professionnels de la santé entendent parler de cette pratique.

S’il n’existe pas à proprement d’étude sur l’efficience de la démarche, la plupart des participants expriment leur satisfaction quant à l’impact positif des groupes sur leur pratique. « À force d’avoir reçu les observations et les conseils des membres du groupe, il vient aussi un moment où le praticien peut continuer à ‘entendre’ les réactions des uns et des autres sans que ceux-ci ne soient effectivement à ses côtés. »

« Aujourd’hui encore, la formation est centrée sur le médico-scientifique, explique Philippe Heureux. La démarche des groupes Balint est parfois considérée comme étant trop liée à de la psychologie, voire ésotérique. Toutefois, depuis 2019, un module dédié à la ‘Subjectivité dans le soin’ a été intégré dans le cursus des assistants (médecin porteur d’un diplôme de médecine qui poursuit sa formation tout en pratiquant sous un superviseur). Ce module contient des formations en communication, à la pleine conscience et la participation à des groupes Balint. »

Il faut dire que la personnalité d’un praticien est elle-même un outil de travail dont celui-ci doit comprendre le fonctionnement. Le temps de la rencontre avec ses pairs et à travers leurs regards, le praticien prend le recul nécessaire pour être plus conscient de l’idéal de son métier et de la façon dont il se ‘prescrit’ dans la relation.

Dans le cas des groupes Balint, la communauté de professionnels utilise l’individu pour se nourrir. Mais au final, la résultante de la démarche reste au service de l’individu, puisqu’un médecin qui se sent mieux dans sa pratique sera plus à même de soigner ses patients.