Des outils pour évaluer la crédibilité de l’information sur Internet et des manières de lever les barrières aux changements de modèle de décision entre patient et médecin. C’est le modèle de la décision partagée.

Le développement de la consultation de l’information médicale et santé sur internet dans un contexte social et culturel favorable à l’empowerment des citoyens contribue à une innovation sociale : l’émergence d’un modèle de soins s’orientant vers le modèle de la décision partagée fondé sur la collaboration entre le patient et son médecin et donc sur le partage des informations collectées via internet ou toute autre source.

Ce modèle rompt avec le modèle paternaliste qui a certes encore largement cours auprès des médecins réticents par rapport  au « Dr. Google » et des patients  convaincus de ce que le professionnel est le mieux placé pour décider et agir dans leur intérêt  exclusif.

Entre ces deux modèles représentant les deux pôles d’un continuum en terme de participation et de partenariat, on trouve aussi le modèle informé qui connaît deux versions.   Le patient  prend les décisions après avoir reçu une information complète de la part du professionnel ou à l’inverse, le professionnel décide après avoir été informé des préférences, des craintes du patient mêmes celles éventuellement inspirées par des lectures sur la toile. Dans ces deux versions, il y a une coopération  fondée sur la division du travail entre la prise de décision et l’information avec comme objectif la santé du patient.

L’évolution vers le modèle de décision informée et celui de la décision partagée est rendue possible grâce à des pratiques nouvelles – consultation d’internet, acceptation des médecins de dialoguer avec le patient sur base des informations que ce dernier amène notamment à partir d’internet. Ces pratiques se donnent pour objectifs une médecine plus efficace et plus efficiente grâce à une meilleure adhésion du patient au traitement, à sa responsabilisation et à sa satisfaction d’être reconnu comme acteur à part entière de sa santé [1].

 

Cette brève fait suite aux deux précédentes :

Internet, le patient et le médecin : de l’innovation technologique à l’innovation sociale (1/3)

Internet, le patient et le médecin : pourquoi le phénomène croit jusqu’à devenir irréversible ? (2/3)

 

Dans la suite de cette troisième brève, on présentera les deux enjeux principaux pour arriver à évoluer vers un modèle de décision informé ou partagé entre patient et médecin :

 

  • Evaluer la crédibilité de l’information sur internet et améliorer sa qualité, avec un exemple d’outil  évaluatif ( HONcode) et les leçons à tirer de cette expérience.
  • Lever les barrières aux changements de modèle de décision entre patient et médecin avec un exemple de changements de pratiques chez les médecins vétérinaires dans le sens d’une décision informée voire partagée.

 

Evaluer la crédibilité de l’information sur internet

 

Un argument  systématiquement  mobilisé par les « opposants à l’utilisation de l’information collectée sur la toile par les patients contre »  réside dans la crédibilité de cette information. Pour être utilisable et utile, cette information doit dès lors pouvoir être évaluée  à l’aide d’un outil qui prenne en compte les attentes des patients et des professionnels en matière de qualité de l’information. Il s’agit donc d’identifier les critères/facteurs de crédibilité et les attentes des publics (profanes, professionnels, sites d’information, sites d’entraide).

 

Le portail  américain Healthfinder.gov offre des informations sur un large éventail de sujets de santé. Les sources sont sélectionnées parmi environ 1400 organisations gouvernementales et à but non lucratif afin de fournir les informations de santé les plus fiables sur internet. Le portail possède également des directives de qualité pour les sites.

 

Les critères de crédibilité de l’information

 

La crédibilité des informations santé trouvée sur internet (mais aussi celle véhiculée par les médias traditionnels) se construit de deux manières par le profane sans qu’elles s’excluent mutuellement. Les recherches (1) mettent en effet en évidence deux routes du traitement de l’information: une route centrale et une route périphérique.

La route centrale correspond à un processus systématique où le patient examine chaque argument/information en pesant le pour et le contre, met en relation les arguments pour se former une idée structurée. Ce mode exige du patient qu’il consente des efforts plus ou moins importants  pour la recherche de l’information – et qu’il fasse appel à des standards de qualité de l’information élevés. La question clé est la crédibilité des arguments, des messages. Elle est d’autant plus cruciale pour le profane que les dimensions contextuelles interagissent entre elles pour l’encourager à s’informer d’une manière systématique sur le « fond ». Cette route est d’autant plus facile à emprunter que les outils technologiques sont là pour l’aider dans cette voie. C’est ainsi que des patients chroniques deviennent des experts de leur maladie.

La route périphérique utilise quant à elle une stratégie plus rapide et moins fastidieuse en utilisant des « raccourcis » pour établir la validité d’un message. En bref, il s’agit d’évaluer la crédibilité de la source. La multiplication des sources d’information (internet mais aussi les médias traditionnels) contribue à ce que les patients qui  emprunteront la route centrale par la suite, fassent un premier tri sur base de la crédibilité de la source. D’où l’importance des critères  d’évaluation de la confiance que l’on peut accorder à une source avant de passer à l’examen du contenu informationnel proprement dit et de l’importance d’un processus de certification des sites.

 

La question de la crédibilité ne se traite pas nécessairement de la même manière selon que le site est du type « one-to-many»  comme  les sites institutionnels (par exemple la société canadienne du cancer) ou un site « many-to-many », comme par exemple les sites d’entraide animés par des réseaux de patients (Vivre sans thyroide) (voir brève 2/3). La pondération des deux routes peut être différente. Le recours aux sites institutionnels s’attache à la fiabilité des messages sur ces sites, à une comparaison des arguments sur différents sites après une première évaluation de la fiabilité des éditeurs des sites. La route périphérique intervient de manière privilégiée lorsque le patient s’intègre dans un réseau social composé de patients comme lui. La clé de la confiance réside alors dans la co-orientation des membres du réseau. Des patients, des aidants, des proches vivent les mêmes problèmes et cherchent les mêmes objectifs, avec plus moins d’expériences et de connaissances. La co-orientation est le ressort essentiel de la consultation de ces sites. Les récits de vie y occupent d’ailleurs une place de choix. Cela signifie-t-il que l’information que l’on y trouve est circonstancielle, moins fiable que celle émanant de sites institutionnels ?

 

L’argument selon lequel des internautes peuvent fournir des informations erronées est en principe fondé. Mais en pratique, il s’agit de sites mobilisant une connaissance à la fois située – l’internaute à chaque instant construit sa propre situation [2]- et distribuée – la connaissance est produite ou acquise au terme d’une dynamique de coordination entre les internautes [3]. Cette coordination peut se faire selon le modèle de la mega-collaboration à l’heure d’internet. Dès lors, les erreurs sont vites corrigées par d’autres membres plus expérimentés ou par des modérateurs-experts (voir l’exemple du forum « Vivre sans thyroïde »). Ce site d’entraide est d’ailleurs certifié du point de vue de sa conformité à la charte HONcode, un outil d’évaluation de la qualité du site (voir ci-dessous).

 

Des leçons de l’expérience  du HONcode

 

Différents outils destinés à faciliter l’évaluation de la crédibilité de l’information des sites coexistent. Citons l’exemple du portail  américain Healthfinder.gov qui s’attache à la fiabilité des sites institutionnels ou encore Quackwatch recourant à un réseau d’experts traquant les informations fallacieuses et mettant à jour l’information fondée sur des preuves scientifiques (fiabilité de contenu). Enfin, la certification représente un outil centré sur la fiabilité dans les modes de production de l’information largement soutenu en France et sur le plan international (OMS)  [4]. Il représente aujourd’hui un enjeu collectif à la fois pour certifier la fiabilité des  sites ou des portails et améliorer la qualité grâce à une certification limitée dans le temps (1 an) et systématiquement révisable et renouvelable.

 

La France fait figure de précurseur en matière de certification des sites internet à orientation santé. La  Haute Autorité de  Santé a passé en 2007 une convention de partenariat avec la Fondation suisse Health On the Net.

 

La certification HONcode repose sur huit principes portant sur la qualité du site et/ou la présentation de l’information sur le site (qualité du contenant). Les sites demandant la certification sont volontaires.

 

Quelles leçons retirer de l’expérience HONcode ? Après une évaluation de l’utilité de la certification des sites de santé auprès de ses différents publics, le partenariat entre les deux organismes s’est arrêtée en 2013 pour cause de bilan contrasté [5]. Utile pour les éditeurs des sites internet qui continuent à appliquer les principes  du HONcode, elle ne l’est pas pour le grand public qui ne le connaît guère.

 

Une des critiques faites à l’encontre de l’intervention de cette tierce partie qu’est HON porte sur la grille des critères de qualité utilisée pour la certification HONcode – comme d’autres grilles dans des dispositifs similaires. L’évaluation de la fiabilité – voir supra les deux routes de l’information – et de la validité du contenu de l’information passerait potentiellement (manque de recherche sur la question [6]) après celle de la qualité du contenant (celle par exemple  du site en termes de lisibilité, accessibilité).

 

Le bilan mitigé de l’expérience du HONcode [7, 8] soulève des questions sur l’adéquation du mode de production de ces grilles, chartes, etc. Celles-ci sont essentiellement le fruit du travail de qualitativistes sans savoir si les internautes sont aussi bien informés qu’ils le souhaiteraient.

L’enjeu du changement du modèle de décision

 

Lever les barrières chez le patient et le médecin

En choisissant de livrer à son médecin l’information trouvée sur internet, le patient espère en tirer un maximum  de bénéfices en termes d’informations  pendant et après sa consultation (voir brève 2). Il peut ainsi mieux préparer les questions à poser et ensuite décrypter les réponses en s’informant plus avant. Le choix de cette option entraîne cependant des coûts – temps, inconfort psychologique éventuel à la lecture d’informations inquiétantes, etc. – ou encore des risques comme celui d’agacer son médecin s’il est adepte du modèle paternaliste et n’a que faire des informations collectées sur la toile.

 

Pour ce médecin,  les bénéfices de la consultation d’internet par ses patients restent encore le plus souvent douteux. Il met en cause  la crédibilité, la fiabilité  des informations trouvées sur les sites « grand public » ou/et la capacité  du patient à comprendre celles qu’il pourrait trouver sur des sites plus « pointus ». Corrélativement, il craint de perdre un  temps dont il ne dispose pas à discuter d’informations plus ou moins pertinentes voire fantaisistes rapportées par son patient. Il peut aussi craindre d’être moins informé que son patient,  le profane devenant souvent expert de sa maladie lorsque celle-ci est chronique.

 

Passer d’un modèle de décision paternaliste à un modèle de décision partagée se heurte par ailleurs à d’autres barrières, comme par exemple la crainte chez le médecin de perdre son statut hégémonique dans l’interaction avec son patient. Une crainte injustifiée, car il reste le premier référent, la première source à laquelle 92 % des patients font confiance, internet venant en troisième position après le médecin généraliste et le spécialiste (enquête Solidaris 2017 auprès de 670 francophones). Cette crainte subsiste toutefois avec le risque de voir la position des patients évoluer vu l’amplification du phénomène, de l’amélioration potentielle de la qualité  de l’information et de l’éducation des internautes à venir.

 

 

Une enquête menée par l’Institut Solidaris a interrogé 670 personnes sur le niveau d’information santé et l’influence d’internet. Parmi les résultats publiés en novembre 2017, près des ¾ des personnes interrogées vont sur internet pour se renseigner en matière de santé. A peine la moitié ont confiance dans les autorités de santé nationales ou européennes pour qu’elles leurs donnent des informations de santé fiables et pertinentes. 81% des personnes sont pour une règlementation des informations santé, tant sur internet que sur les médias traditionnels. Retrouvez tous les résultats de l’enquête ici.

 

Changer les pratiques

L’évolution vers un modèle de soins coopératif ou collaboratif exige aussi des changements de pratiques du médecin – échanger par exemple des informations avec son patient par mail –  et d’une manière générale une compétence d’engagement dans le «  travailler ensemble » avec le patient. Autant de barrières, voire d’obstacles à la diffusion d’une nouveau modèle de soins en rupture avec le modèle traditionnel.  Et pourtant l’exemple des médecins vétérinaires montre que cette évolution est bien dans « l’air du temps ».

 

Un exemple d’appropriation de nouvelles pratiques : les vétérinaires pour animaux de compagnie

Cette compétence s’observe en effet chez les vétérinaires spécialisés dans les animaux de compagnie qui s’ouvrent au modèle de décision informée voire au modèle de décision partagée.  Par définition, les  profanes propriétaires d’un animal de compagnie malade sont les porte-parole obligés et reconnus comme tels par le vétérinaire avec lequel ils entrent en négociation plus ou moins explicite à propos du traitement de l’animal – aspects bien-être de l’animal, possibilités financières, acharnement thérapeutique….avec une parole libérée de jugements moraux au profit du seul intérêt de l’animal.  Il y a là trois acteurs et sans doute un quatrième, internet, à voir le nombre de sites d’information médicale sur les animaux et leur fréquentation.

 

Du côté « patient »,  la demande d’information de qualité et accessible à tout moment est liée au statut de membre de la famille des quelques 60 millions d’animaux en France et …aux coûts des soins vétérinaires non remboursés.Les seconds, troisièmes avis, le shopping médical ne sont guère accessibles pour une majorité des propriétaires. Ceux-ci peuvent en revanche  développer une compétence d’engagement en matière d’apprentissage/généralisation de la consultation d’internet santé.

 

 

Un exemple de site vétérinaire qui offre notamment une fiche modèle d’informations en pdf à remplir pour préparer la consultation en urgence. Le vétérinaire est entraîné à écouter et prendre en compte ce que rapporte le propriétaire/porte-parole, et doit tenir compte de l’information explicitement trouvé sur internet.

 

Du côté du vétérinaire, déjà entraîné à écouter et prendre en compte ce que rapporte le propriétaire/porte-parole, il doit « faire avec » l’information explicitement trouvée sur internet, une information plus ou moins pertinente qu’il lui appartient le cas échéant d’expliciter, de corriger ou d’infirmer. Il est certes exposé à des attentes très fortes en matière d’écoute, à la mesure du lien de leur client avec leur protégé et de la charge financière très lourde des soins vétérinaires dans un contexte concurrentiel (absence de pénurie de vétérinaires pour animaux de compagnie). Un modèle inspirant pour le médecin et pour les autorités publiques soucieuses  de la croissance des coûts individuels et collectifs des soins de santé.

 

En guise de conclusion, un outil d’évaluation à co-construire pour répondre aux enjeux

Le bilan mitigé de l’expérience du HONcode [7et 8] soulève des questions sur l’adéquation du mode de production de l’évaluation de la crédibilité de l’information.  Pour que l’information évaluée positivement par un outil d’évaluation puisse offrir une base de dialogue constructif entre patients et professionnels plutôt que d’installer la méfiance entre eux, l’outil doit répondre à un certain nombre de conditions. Il doit appliquer les critères ou facteurs de crédibilité pertinents aux yeux des patients et des professionnels.

 

Les critères des uns n’étant pas nécessairement ceux des autres, la construction de l’outil doit impliquer les différentes catégories d’acteurs dans une démarche collaborative. L’objectif est de coproduire un outil qui permette de certifier aux yeux d’un maximum d’acteurs différents la crédibilité d’une l’information évaluée positivement sur base des critères communément acceptés.

 

Quant à la manière d’atteindre cet objectif, elle ne peut faire l’impasse sur une démarche participative et inclusive qui est de l’ordre de la co-construction, par exemple à l’aide d’un atelier créatif, le but étant de clarifier un problème – quels sont les critères pertinents ?- et d’aboutir à un consensus sur la manière de le résoudre – obtenir une grille de critères partagés.

 

Retrouvez les deux premières brèves sur le sujet :

Internet, le patient et le médecin : de l’innovation technologique à l’innovation sociale (1/3)

Internet, le patient et le médecin : pourquoi le phénomène croit jusqu’à devenir irréversible ? (2/3)

 

Pour en savoir plus :

 

[1] Petty R. E., Cacioppo, J., Attitudes and  persuasion:  Classic and contemporary approaches, Dubuque, Iowa:  Wm. C. Brown Company Publishers, 1981.

[2] Saury J., Ria L., Sève C. et Gal-Petitfaux N., Action ou cognition située- Enjeux scientifiques et intérêt pour l’enseignement en EPS, Revue EPS, 321, 5-11, 2006.

[3] Delalonde C. , Soulier E., Mise en relation et coopération pour la recherche de connaissances dans les équipes distribuées. CITE. Nantes, Semaine de la Connaissance. 26-30 Juin, 2006.

[4] Nabarette H. et al, Certification des sites dédiés à la santé en France, La Presse médicale, 38, 10, 1476-1483, 2009.

[5] Haute Autorité de la santé, Vers une évolution de la certification des sites de santé, mai 2013

[6] Gagliardi A., Jadad A.R., Examination of instruments used to rate quality of health information on the internet: chronicle of a voyage with an unclear destination, BMJ, 9;324(7337):569-73, 2002.

[7] La Haute Autorité de la Santé, Evaluation de la certification des sites de santé, 2009.

[8] Braun J., Blog  de l’agence de communication digitale, Certification des sites en santé : la HAS projette pour 2014, 2013.