Après notre introduction sur le concept du Nudge ainsi qu’une découverte des biais cognitifs, phénomène central du sujet, nous vous proposons une méthode en 6 étapes pour construire vos propres nudges !

1. Définir l’objectif

La construction d’un nudge présuppose une réflexion approfondie sur la thématique de travail et l’objectif visé. Le nudging est un outil d’influence positive afin d’obtenir d’une personne l’évolution de son comportement dans le but de générer un effet positif pour cette personne. On se posera donc les questions suivantes pour débuter :

  • Quel est le contexte/la thématique qui va m’occuper?
  • Qui sont les personnes concernées? Comment les décrire?
  • Quelle est la problématique/quels sont les challenges de ces personnes? Quel sont leurs objectifs? Quelle est la situation idéale qu’elles souhaitent atteindre?
  • Quel est le comportement idéal que je souhaite induire chez ces personnes?
  • Quel est le comportement actuel que je souhaite transformer/refréner?
  • Quelles sont les questions éthiques qui pourraient se poser dans ce contexte?

Au terme de cette première réflexion, des hypothèses sont posées et l’objectif du nudge peut être exprimé en tenant compte des trois dimensions :

  • Quel comportement actuel vais-je modifier?
  • Quel comportement vais-je induire en lieu et place?
  • Quel objectif supérieur ce nouveau comportement permettra-t-il d’atteindre pour les personnes concernées et en quoi cela sera-t-il bénéfique pour elles?

Il est conseillé de s’entourer d’une équipe multidisciplinaire dès le début du projet afin de pouvoir bénéficier de regards diversifiés sur la situation de départ et d’une créativité démultipliée.

Les outils du persona et du storyboard peuvent être très intéressants lors de cette étape.

2.Explorer le terrain

À l’instar de la méthodologie Living Lab et de celle du Design Thinking, une étape d’exploration est nécessaire afin de valider (ou non) les hypothèses. La notion clé de cette étape est l’observation. Lorsqu’on parle de comportement, il existe souvent une différence (dont l’importance peut varier d’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre) entre ce qu’un individu peut affirmer et ce qu’il vit réellement. Dès que la possibilité se présente, observer des comportements dans un contexte réel est une véritable aubaine à ce stade du projet.

Différents outils peuvent aider lors de ce processus :

  • L’observation in situ (si elle est envisageable);
  • L’enregistrement vidéo (s’il est autorisé et consenti);
  • Le journal de bord (embarqué par l’individu qui y notera ses comportements dans un contexte donné).

Si le lien direct avec le terrain n’est pas envisageable, il est conseillé d’effectuer une exploration qualitative approfondie afin de dégager les conclusions les plus réalistes. Il est parfois possible d’interviewer non pas les individus concernés eux-mêmes, mais des témoins privilégiés de leurs comportements. Par exemple, interviewer des infirmiers sur le comportement de certains patients.

Il est important de réaliser que si certains individus ont un comportement non constructif au regard de votre objectif, d’autres adopteront plus que probablement le comportement optimal.

L’observation peut être guidée par les critères suivants :

  • Quelles sont les barrières qui empêchent les individus d’adopter le comportement que vous pensez être optimal?
  • Quels sont les déclencheurs du comportement que vous pensez être optimal chez les individus qui l’adoptent spontanément?
  • Le comportement que vous avez jugé comme optimal est-il validé? N’y a-t-il pas un comportement mieux adapté? Ne faut-il pas préciser certaines hypothèses?

Les barrières ou déclencheurs peuvent être des éléments internes à l’individu (facteurs de motivation intrinsèque, biais cognitifs, etc.) ou externes (facteurs de motivation extrinsèque, pression sociale, environnement physique, etc.). Il peut être utile, en amont de l’observation, de s’inspirer de quelques biais cognitifs (ou des grandes catégories) afin de les envisager assez tôt dans la phase d’observation.

Le User Journey Map est un outil visuel qui peut synthétiser l’ensemble des données récoltées. Plusieurs User Journer Map peuvent être créés en fonction des comportements non optimaux et du comportement jugé optimal.

3. Concevoir le nudge

La conception du nudge est une étape qui requiert à la fois de la créativité et une structure bien établie. Il est vivement conseillé de se lancer dans la conception lors d’un atelier de créativité qui rassemblera des parties prenantes et permettra d’enclencher un processus d’intelligence collective.

En guise d’introduction et d’imprégnation, on veillera :

  • À résumer le contexte et les objectifs qui ont été fixés;
  • À présenter les résultats de l’exploration, par exemple les User Journey Maps produits;
  • À rappeler aux participants ce qu’est un nudge;
  • À préciser le comportement qui est recherché pour atteindre un résultat optimal pour l’individu.

Il est alors conseillé de fonctionner comme dans un processus de créativité classique et de débuter par une phase de divergence qui vise la quantité et les idées folles pour induire le bon comportement. En guise d’inducteur, il est possible d’utiliser la liste  » The Drivers of influence » produite par l’association Nudging For Good.

 

 

Poursuivre alors par une étape de convergence qui rassemblera les participants en groupe et proposera à chacun de sélectionner une ou plusieurs idées issues de l’étape de divergence afin de travailler sur un « Moment of Truth » : une description des éléments mis en place pour activer le comportement optimal

Un partage des solutions envisagées avec une possible fertilisation croisée (amélioration de chaque idée par l’intervention des autres groupes) est vivement conseillée si le temps est disponible.

Une alternative proposée par Nudging for Good est « La roue du changement« . Elle implique de faire travailler différents groupes sur différentes phases de la transformation du comportement :

  • La préparation du terrain
    • Choisir le lieu et le moment
    • Attirer l’attention
    • Choisir les bons canaux pour envoyer des messages
  • La diminution de l’effort à consentir
    • Profiter des attentes existantes
    • Générer une première impression positive et motivante
    • Créer l’intuitivité du moment
  • Faciliter le choix
    • Mettre en évidence les avantages immédiats du choix
    • Minimiser les contraintes
    • Proposer un « premier pas » sans conséquence et sans risque
  • Encourager le comportement de manière positive
    • Organiser la reconnaissance sociale, même implicite
    • Récompenser par la reconnaissance du comportement optimal
    • Mettre en évidence le résultat positif pour la personne d’avoir choisi ce comportement.

 

 

À la fin de cette étape, l’équipe du projet de nudge doit être en possession de plusieurs idées concrètes, pertinentes et réalistes sous forme de « fiches projets ».

4. Présélectionner les idées prometteuses

L’étape de présélection invite la ou les personnes en charge du projet à analyser les idées conçues et à les améliorer (par exemple en croisant plusieurs fiches projets ou encore en faisant intervenir des experts sur le sujet)

Nudging For Good propose une matrice qui aide à caractériser les différents nudges.

 

 

Ainsi, le « Golden Nudge« , le Graal, est celui qui représentera la meilleure opportunité (efficacité et large cible touchée) et le risque minimum (en termes de coûts, d’acceptabilité, d’efforts à consentir, de complexité à la mise en oeuvre, etc.).

Le « Standard Nudge » (faible risque et opportunité limitée) peut être mis en place sans effort, même si le résultat escompté est limité. Le « Revolution Nudge » a le pouvoir d’engendrer un important résultat si l’on accepte de prendre les risques requis ou de réaliser les investissements nécessaires. Les nudges à faible opportunité et risques élevés ne doivent pas être prioritaires.

On sélectionnera, au terme de cette étape, entre 3 et 5 idées, en fonction de leur complexité, des ressources disponibles et du contexte donné.

Si cette étape peut être réalisée par une personne seule, l’activation d’un groupe de travail représente un avantage considérable.

5. Le test

Avant de lancer le nudge à une large échelle, il conviendra d’organiser le test des différents projets sélectionnés à l’étape précédente. Comme pour la méthodologie Living Lab, on travaillera sur des prototypes impliquant un investissement minimum et permettant une interaction avec les individus concernés.

L’idéal est de réaliser les tests directement sur le terrain, dans l’environnement final. Cependant, si cela s’avère impossible (par exemple à cause du coût, de l’accès, des risques en cas d’échec ou encore de l’impossibilité d’isoler le processus du nudge d’autres variables de l’environnement), un test « en laboratoire » peut être imaginé pour autant :

  • qu’il se rapproche suffisamment des conditions réelles;
  • qu’il implique des individus directement concernés.

Une bonne pratique méthodologique invitera le responsable ou l’équipe responsable à mettre en place :

  • un test « avant nudge » et un test « après nudge » afin d’observer si les modifications sont significatives;
  • une zone « avec nudge » et une zone « sans nudge », poursuivant le même objectif, si ces zones sont suffisamment similaires pour réaliser une comparaison.

Comme dans tout test qui se respecte, il est essentiel de déterminer en amont les indicateurs, les éléments qui seront précisément observés et mesurés de manière récurrente afin que les résultats soient les plus rationnels.

6. Implémenter et mesurer

Après le test, les meilleurs nudges seront sélectionnés pour l’implémentation définitive. À ce stade, les tests doivent avoir démontré un impact suffisant pour consentir à l’investissement nécessaire (transformation d’un lieu, création d’une application, diffusion de supports de communication, etc.) sur l’ensemble des zones/timing/populations visés.

Un système de mesure de l’efficacité du processus doit être mis en place, à l’image de celui utilisé au point précédent. Il peut s’agir :

  • d’observations régulières du taux de conversion de comportement;
  • de l’analyse des données recueillies par un système technologique si le cas est envisageable;
  • d’interviews régulières des personnes soumises au nudge pour en évaluer l’impact individuel;
  • etc.

Il est important de noter qu’un nudge a un impact d’une durée de vie limitée sur un individu, tantôt plus longue, tantôt plus courte. Cette longévité va dépendre de différents facteurs : la modification d’éléments de l’environnement, l’habituation des individus à une situation ludique qui perdra de son attrait après la découverte, l’intervention d’un biais cognitif inattendu, la transformation d’un biais cognitif, etc.

Une évaluation régulière est donc nécessaire à la pérennité du nudge…ou à son renouvellement!

Conclusions

La méthodologie de construction d’un nudge est très similaire à celle que nous connaissons et pratiquons au sein du Living Lab :

  1. L’exploration, précédée par l’analyse du contexte, la formulation de l’objectif et des hypothèses;
  2. La co-création, par l’activation de l’intelligence collective et de la créativité collaborative, avec des phases de divergence et de convergence, alliant priorisation et sélection des idées;
  3. Le prototypage et le test afin de valider la pertinence des projets de nudges et de choisir les meilleurs projets à implémenter.

Il est utile de préciser que, comme pour le Living Lab, cette méthodologie présentée de manière linéaire peut faire l’objet d’itérations successives selon les résultats obtenus. Ainsi, si l’étape 2 d’observation amène des résultats inattendus sur les hypothèses formulées, il sera essentiel de revenir sur les objectifs et les comportements à modifier.

Les articles précédents du dossier What the Nudge?!

What the Nudge ?! Le concept de Nudge

What the Nudge ?! Les biais cognitifs