Le domaine de la santé mentale connaît un changement de paradigme important depuis les années 90’, un changement propice à l’innovation puisqu’on entre dans des terrains encore insuffisamment explorés jusqu’à présent.

 

Il y a une distinction à faire entre la psychiatrie et la santé mentale. À l’origine, la psychiatrie est considérée une discipline médicale essentiellement clinique, dans laquelle la pathologie est caractérisée par un ensemble de symptômes. « Il y avait une question presque d’ordre public, nous explique Véronique Delvenne, Chef de service en Psychiatrie infanto-juvénile à l’Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola. Jusqu’au XIXe siècle, on choisissait plutôt d’enfermer les déficients, les demeurés ou les délirants pour éviter tout risque éventuel pour la société ». En France, cette démarche s’appuie sur une loi (Loi du 30 juin 1838 sur l’enfermement des aliénés). En Belgique, la loi du 26 juin 1990 de mise sous protection de la personne des malades mentaux a remplacer l’ancien régime de la collocation en vertu duquel la privation de liberté résultait d’une simple mesure administrative. Ce rôle a plutôt été confié au secteur privé et/ou communal. Un des exemples est la création de l’établissement Saint-Martin à Dave, dans la province de Namur.

« Depuis la fin du XXe siècle, nous connaissons un vrai changement de paradigme, continue Véronique Delvenne. Plusieurs réformes ont été proposées dans le secteur des soins de santé mentale dans la plupart des pays industrialisés, dont la Belgique, l’idée étant de ramener autant que possible les personnes souffrant de troubles mentaux au sein de leur environnement et de leur tissu social d’origine. » L’accent est ainsi mis aujourd’hui sur des soins de plus en plus intégrés dans le milieu de vie, et non plus sur les hôpitaux psychiatriques.

Autre mouvement et non des moindres, la façon d’appréhender et de classifier les troubles mentaux. « Ces troubles ont été définis selon des caractéristiques symptomatiques communes définissant des syndromes comme la schizophrénie, la dépression, etc. Ainsi se sont construit les différents DSM, DSM 5 actuellement, Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (NIMH) [1] qui décrit les troubles mentaux selon les symptômes observables. Le projet RDoC [2](Research Domain Criteria) propose une autre approche pour décrire les troubles. De cette façon, c’est un ensemble de caractéristiques et de processus (émotion, cognition, comportement social,…) qui sont passés en revue. C’est un changement majeur aujourd’hui en ce qui concerne la santé mentale. » Actuellement, il est donc question de favoriser une description plus fine, et surtout individualisée, des troubles mentaux ou de la souffrance psychologique. Une approche d’autant plus pertinente que les différents troubles ne peuvent pas toujours être complètement distingués les uns des autres : ils partagent fréquemment des caractéristiques communes.

De la psychiatrie à la santé mentale

Qu’entend-t-on par ‘santé mentale’ ? Si l’on reprend la définition de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), « la santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de la communauté [3] ». Il s’agit donc d’un champ bien plus large que celui des maladies et du handicap psychiques. Il englobe la personne dans son milieu de vie et tient compte des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.

« La nuance est importante puisque, dès lors, la santé mentale ne relève pas seulement de la question psychiatrique ou médicale, mais aussi des questions psychologiques ou sociales », détaille Véronique Delvenne. En d’autres termes, ce ne sont pas les mêmes acteurs qui sont à la manœuvre. On retrouvera des psychologues, des sociologues ou même des assistants sociaux ou des éducateurs.

Le rapport de Michel Laforcade [4] de 2016 sur l’état des lieux autour la Santé Mentale en France établit différents constats à ce propos. Tout d’abord, « la santé mentale et la psychiatrie constituent un enjeu de santé majeur : une personne sur cinq sera un jour atteinte d’une maladie psychique ». Au niveau de l’Europe, on considère que, chaque année, près de 165 millions de personnes dans l’UE, soit 38 % de la population, éprouvent un problème de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété. Autant dire que les maladies mentales présentent un fardeau économique et social énorme.

En Belgique, la situation des soins de santé mentale est assez complexe étant donné que cette compétence est défédéralisée. Ainsi, c’est le niveau fédéral qui est responsable du financement des psychiatres et des services de psychiatrie dans les hôpitaux, tandis que les entités fédérées sont responsables de l’organisation et du financement des services de santé mentale ambulatoire (SSM).

 

 

De l’innovation pour répondre à la diversité

Toujours dans le rapport de Michel Laforcade en France, on lit que « des innovations remarquables se font jour, souvent depuis plusieurs années, dans de multiples endroits du territoire national, témoignant de l’engagement et de la faculté d’adaptation des professionnels. » En même temps, les auteurs regrettent que « les meilleures solutions restent souvent confidentielles. » On retrouve cette tendance dans les pays industrialisés.

Les innovations sont aussi nombreuses que diverses et prennent des orientations différentes. Les troubles mentaux peuvent se développer ou apparaître selon différents facteurs : la biologie (avec notamment la génétique et l’épigénétique), la psychologie, l’environnement, le contexte social voire culturel, la situation de vie, l’histoire personnelle, ou encore le social. Ils peuvent interagir les uns avec les autres.

Il y a ainsi deux principaux vecteurs d’innovation dans la santé. D’une part, une approche médicale, mais individualisée qui tient compte de la biodiversité des patients. Et d’autre part, la prise en compte de l’ensemble des facteurs environnementaux dans la mise en place d’un dispositif de soin.

Autre approche également novatrice, la relation médecin-patient. L’expertise expérientielle (composée des savoirs théoriques du patient et de son vécu subjectif) est désormais reconnue et le patient-expert commence à être impliqué dans les choix de ses traitements dans le cadre d’une décision partagée.

 

Innovations et mythes

Les innovations touchent aujourd’hui des domaines extrêmement divers : numérique, social, pharmaceutique, etc.

 

Prenons l’exemple des progrès  en imagerie médicale. Ce travail d’analyse d’images fonctionnelles du cerveau a permis de mettre en lumière le fonctionnement du cerveau dans différentes tâches (langage, apprentissages, …). Il apporte des informations utiles notamment en ce qui concerne le mode d’action des médicaments psychotropes. Mais la démarche pourrait se révéler inefficace si le traitement ne tient pas compte également des aspects environnementaux.

Il n’y a pas encore de traitements uniques considérés comme une panacée aujourd’hui. On constate toutefois que les pistes les plus probantes sont multiples, couvrent différents domaines et prennent en compte la biodiversité des patients.

Et en Wallonie ?

Dans notre région, quelques initiatives ont également été lancées à destination des professionnels de la santé mentale, parmi lesquelles :

Help-Ados est une application numérique pour aider les professionnels de la santé face à un ado en souffrance a été créée en 2018. Proposée par le service Openado de la Province de Liège et le CHU de Bordeaux, cette plateforme numérique a été conçue pour mettre en relation un jeune en souffrance et un professionnel. Ce dispositif a été testé durant un an par des professionnels liégeois et du sud de la France afin de valider l’outil pour qu’il puisse être utilisé à la plus large échelle possible. Plus d’infos.

 

Une formation autour de la Pair-Aidance est programmée en juin 2020 à l’antenne de Huy du centre local de la promotion de la santé afin d’accompagner les professionnels de la santé mentale à repenser leur pratique en intégrant l’expérience de leurs patients dans la mise en place des dispositifs de soins. Plus d’infos.

 

« Entraide & MOI » est un jeu de rôle autour de la santé mentale pour apprendre à se mettre à la place des personnes en souffrance et mieux comprendre la diversité des offres de soins. Il ouvre la réflexion et valorise l’entraide et l’empathie dans le champ psychosocial et communautaire. Il s’adresse à toute personne concernée de près ou de loin par les problématiques de la santé mentale et/ou de la psychiatrie. Plus d’infos.

 

SAM est le réseau des Aidants Proches et se matérialise par une plateforme digitale qui vise à donner accès de façon préventive à des informations soit sur les aides possibles, sur les dispositions légales, sur les groupes d’échanges, etc. Pour comprendre la genèse du projet et la manière dont la plateforme a été développée, venez découvrir une interview de Marine Salou, Directrice de ce réseau, ici. Pour accéder au réseau, c’est ici.

 

 

 

Pour en savoir plus

[1] Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, American Psychiatric Association, 2015.

[2] Steeves Demazeux et Vincent Pidoux. Le projet RDoC La classification psychiatrique de demain ? Médecine/sciences 2015 ; 31 : 792-6.

[3] La santé mentale: renforcer notre action, OMS, 2018.

[4] Rapport relatif à la santé mentale, Michel Laforcade, 2016.