Cette brève s’inscrit dans une série de publications destinées à partager l’expérience du WeLL sur l’un des aspects fondamentaux de l’approche Living Lab : l’implication des utilisateurs et leur(s) rôle(s) au niveau des projets, notamment au cours de l’étape exploratoire.

La spécificité de la démarche LL est de mettre les utilisateurs finaux – que ce soient des professionnels de santé, des personnes concernées (patients, seniors) plus ou moins directement (proches) – au centre du questionnement suivant :

Le projet est-il, selon eux, opportun ? Rencontrent-ils des besoins encore non ou insuffisamment satisfaits ou encore émergents ?

La réponse doit venir des utilisateurs finaux qui identifient ces besoins à partir de leur expérience personnelle. Il s’agit d’une étape clé pour le porteur de projet de services/produits car ceux-ci doivent être non seulement innovants mais aussi appropriables et, in fine, utilisés par leur public-cible.

L’étape exploratoire : être ou ne pas être

Idéalement, le développement d’un service/produit innovant commence par cette étape exploratoire (Happy Mum).  Mais tous les projets n’entrent pas dans le pipeline de la démarche LL, en commençant par l’exploration des besoins. Certains projets vont, par exemple, solliciter les utilisateurs aux étapes de la co-création (Pharmily) ou encore du test d’usages (Service de télémonitoring pour Axa Assistance) parce que le projet possède déjà un certain degré de « maturité technologique ».

 

« Qu’est-ce que le degré de maturité technologique d’un projet ?
On entend par là que le type de technologie qui sera utilisée dans le projet est déjà défini, voire même les fonctionnalités de la technologie sont déjà sélectionnées, comme c’est le cas dans certains tests d’usages et repose sur une idée plus ou moins précise des besoins à satisfaire. »

 

 

Il n’en reste pas moins que la démarche LL étant itérative, aux antipodes d’une gestion linaire ou en cascade, les utilisateurs finaux auront la possibilité de revenir le cas échéant sur les idées du porteur de projet en termes de besoins, de les affiner, de les corriger ou encore de les réorienter lors des étapes de co-création ou de test d’usages.

 

Le choix des outils méthodologiques : les enjeux

Sur le plan méthodologique, adopter une démarche LL implique le choix d’outils de participation puisque la spécificité de cette démarche réside dans la reconnaissance des utilisateurs en tant qu’experts d’usages. Ce choix est doublement délicat :

  1. Il s’agit d’abord d’avoir une connaissance de la palette des outils possibles et des résultats qu’ils peuvent apporter (grâce, notamment, au retour d’expérience).
  2. Il s’agit ensuite de choisir les outils qui seront appliqués dans le contexte d’un projet précis avec un double souci :
  • Faciliter le plus efficacement possible l’expression des idées, la créativité des participants lors de l’exploration ;
  • Prendre en compte l’impact potentiel de l’expérience que les usagers vont vivre lors de l’exploration (à l’occasion d’un atelier pas exemple) sur leur motivation à s’impliquer dans les étapes suivantes.

Parmi les paramètres à prendre en compte pour le choix des outils, il faudra tenir compte :

  • Du profil des participants (Fait-on appel à eux sur base de leurs compétences professionnelles ou leur expérience personnelle ?) ;
  • Le climat entre les participants (Les participants se connaissent-ils ? Ont-ils déjà travaillé ensemble ? Existe-t-il déjà un climat de confiance entre eux) ;
  • La charge émotionnelle que l’atelier pourrait créer (Le sujet abordé est-il personnel ? Le sujet de l’atelier est-il lié à une expérience personnelle difficile ?) ;


Le choix des outils méthodologiques : les deux dimensions clés

On l’aura compris : il n’y pas de recette standard pour faciliter l’expression d’idées, la créativité des utilisateurs.  Cependant, deux dimensions des projets devront être prises en compte lors du choix des outils méthodologiques :

  • le degré de maturité technologique du projet ;
  • le périmètre plus moins restreint/large des besoins à explorer.

Tous les projets traités par le WeLL présentent en effet au moins ces deux dimensions. Elles peuvent d’ailleurs se combiner, certaines combinaisons étant plus fréquentes que d’autres (voir tableau).

La maturité technologique

Les projets se situent d’abord sur un continuum entre deux extrêmes : un projet technologiquement défini pour lequel le porteur de projet souhaite trouver de nouveaux contextes d’usages (Space2Health, Image et Moi, MSF Impression 3D) d’une part, et un projet où la solution technologique reste à élaborer en fonction des besoins à identifier (Happy Mum, Mens Sana) d’autre part.

Il peut paraître de prime abord étrange de démarrer un projet en phase exploratoire en ayant déjà défini une technologie pour les solutions potentielles à venir. Développer de nouveaux usages à des technologies ou solutions existantes est pourtant un axe important des LLs, qui permet d’exploiter au maximum et à moindre coût (humain, financier, …) des projets et technologies existants grâce parfois à des adaptions minimes.

Dans le cas de figure d’un projet à degré de maturité technologique élevé, l’enjeu va être d’amener les participants à inclure les technologies choisies à leur réflexion, alors qu’ils n’ont pas forcément le bagage technologique adéquat. L’étape de l’exploration pourra alors inclure une phase d’imprégnation “technologique”. Il s’agira de jeter les bases d’un savoir minimal commun, le prérequis d’une égalité de parole entre participants – utilisateurs car ceux-ci peuvent venir avec des expériences différenciées (et les savoirs qui vont avec).

Cette phase d’imprégnation peut s’avérer délicate car elle relève de la vulgarisation scientifique, suppose l’intervention d’un expert ou du porteur du projet qui a plus ou moins construit sa solution technique. Elle doit être aussi suffisamment ludique pour ne pas “perdre” des participants dès le début et ne pas les enfermer dans la logique technicienne du porteur de projet, sans quoi, la démarche itérative d’exploration des idées proprement dite ne donnerait guère d’informations nouvelles et utiles et ne serait guère motivante pour les participants autres que le porteur de projet. Les projets Image et Moi et Space2Health illustrent des ateliers lors desquels les porteurs de projets ont présenté leurs technologies aux participants. Pour le projet MSF Impression 3D, une visite d’un FabLab a été organisée en amont de l’atelier.

Afin d’éviter toute action jugée peut-être trop « top-down » de l’expert technologique envers les participants experts d’usages, il est également possible de faire appel à des experts, qui seront invités à répondre uniquement aux questions liées à la technologie que les participants pourraient se poser.

 

Le périmètre de besoins à explorer

La seconde dimension de variation des projets traités par le WeLL réside dans le périmètre des besoins sous-tendant les projets. Certes, tous se rapportent directement à des besoins de santé mais le champ de ces besoins reste fort vaste.  Leurs limites peuvent sans doute être “naturellement” tracées par :

  • le choix du public cible comme c’est le cas de Happy Mum (mamans de 0 à 1 an après accouchement) ;
  • des contextes d’usages plus ou moins connus des futures solutions, comme dans le cas du Fil d’Ambroise (expérience en tant que patient au sein d’un hôpital choisi).

Le cas de figure sollicitant un maximum de prudence méthodologique est celui où les besoins à explorer sont peu spécifiques, comme dans le cas du projet sur les nouveaux services pour une mutuelle par exemple, parce qu’il cible une catégorie d’utilisateurs large, les seniors. C’est également le cas pour le projet Space2Health, dont l’objectif en phase exploratoire est de déterminer tous les besoins en matière de santé qui pourraient être comblés par des solutions incluant des technologies spatiales et de géolocalisation. Dans ce projet, aucun contexte d’usages n’est défini a priori.

L’enjeu consiste à trouver un/des outils d’animation qui aident les participants, dans un temps imparti et forcément limité, à dépasser l’expression de lieux communs ou éviter de “partir dans tous les sens” sans aucune contrainte (sous peine de déficit de créativité) tout en ne les “forçant” pas à suivre des pistes proposées par l’animateur (ou le porteur du projet s’il est présent). L’équilibre est délicat, à rechercher pour chaque projet, mais sans lui, on se retrouverait là dans une démarche “top-down” qui ne serait qu’un simulacre d’approche LL.

En pratique, dépendant du niveau attendu de concrétude et de détails des idées émergeant de l’atelier ainsi que la taille désirée du périmètre des besoins explorés, les outils méthodologiques vont permettre de manière plus ou moins guidée lors de l’atelier de définir des contextes d’usages qui vont restreindre le champ de réflexion des participants sur leurs besoins. Ces contextes d’usages pourront donc être imposés de manière plus ou moins forte aux participants ou au contraire, définis par les participants eux-mêmes. Le choix de ces contextes d’usages pourra également être réalisé plus ou moins rapidement au cours de l’atelier. Le moment où les contextes d’usages seront définis aura bien sûr un effet direct sur le périmètre d’application plus ou large des idées émises lors de l’atelier. Dans le Fil d’Ambroise, les contextes d’usages ont été imposés dès le début aux participants en limitant la réflexion aux étapes d’un parcours hospitalisation et consultation du patient au sein de l’hôpital.  Dans MSF Impression 3D, les participants ont réalisé en fin d’atelier, après une séance de brainstorming, une fiche « projet » sur leur idée coup de cœur, les amenant à détailler entre autres le besoin identifié et son contexte.

 

Pourquoi vous parler de ça ?

Certes les outils existent et ne cessent de s’inventer au fur et à mesure que l’approche collaborative s’étend aux utilisateurs et de s’affiner au fil des retours d’expérience des participants. C’est là le sens de cette brève qui engage le WeLL dans un exercice réflexif sur ses pratiques et dans le partage avec tous ceux qui se sont impliqués dans les projets traités et les actions menées.